
Santiago du Chili - Il y a 43 ans, Cesar Cerda, membre du Parti communiste chilien, était arrêté en pleine dictature d’Augusto Pinochet. Comme lui, un millier d’anciens opposants sont toujours portés disparus, malgré la quête sans relâche de leurs proches.
"Où est-il ? Où est son corps ? On passe notre vie à se poser la question", raconte à l’AFP sa fille Juana Cerda, 62 ans, devant le mémorial qui rend hommage aux 3.200 morts et disparus de la dictature, dans le cimetière principal de Santiago.
Avec sa mère, elle a parcouru hôpitaux, commissariats, morgues, centres de détentions et casernes militaires, sans trouver de réponse à cette lancinante question. Tout comme d’autres épouses, enfants, frères ou soeurs des disparus des années les plus sanglantes de la dictature chilienne (1973-1990) durant laquelle 38.000 personnes ont aussi été torturées.
"Cette quête a été très douloureuse. Ma mère a fait une grève de la faim, elle s’est enchaînée. Cela a complètement bouleversé notre vie", confie Juana qui continue à chercher ce père dont elle sait seulement qu’il est passé par les centres de torture Villa Grimaldi et Simon Bolivar, dans les environs de la capitale. (...)
Sur les 1.100 personnes officiellement enregistrées comme disparues, à peine 104 ont été retrouvées.
Selon les familles des victimes, cela est dû au désintérêt des gouvernements successifs et, pour elles, l’arrivée à la présidence en mars 2018 du conservateur Sebastian Pinera n’a rien arrangé. (...)
Peu avant de passer la main, fin 2017, la présidente socialiste Michelle Bachelet, elle-même victime de torture pendant la dictature, a lancé un programme baptisé "Recherche et destination finale des détenus disparus", dont les résultats sont attendus pour 2021. (...)
Selon le sous-secrétariat, fin 2018, 451 personnes étaient poursuivies pour des exécutions, correspondant à 851 victimes, et 266 pour des disparitions, soit 618 victimes. Depuis début juin, deux avocats examinent les cas de 355 victimes qui ne font l’objet d’aucune procédure.
Dans un rapport récent, le Comité sur les disparitions forcées du Haut-commissariat de l’ONU pour les droits de l’Homme, s’est dit toutefois préoccupé par le petit nombre de victimes localisées et a recommandé au Chili "d’intensifier ses efforts pour ouvrir des enquêtes ou accélérer celles en cours". (...)
Beaucoup de corps ont été dynamités et environ 180 personnes ont été jetées à la mer depuis des avions.
Les associations des familles accusent l’armée de détenir toutes les informations, mais de refuser de les donner au nom d’un "pacte de silence".
"C’est une blessure qui écorche la conscience nationale", rappelle Lorena Pizarro, qui réclame des "signaux politiques démontrant que le Chili refuse l’impunité".
En plus des familles, une dizaine de magistrats enquêtent sur le sujet et une unité spéciale du service de médecine légale travaille sur l’identification des rares restes retrouvés, même si le passage du temps et leur caractère fragmentaire complique sa tâche. (...)
Le service conserve 4.000 échantillons de sang et 1.800 d’os provenant des familles de disparus pour s’assurer que les recherches se poursuivront malgré les décès des proches.
Les familles ne baissent pas les bras. "Nous allons poursuivre la lutte jusqu’à notre mort", promet Juana Cerda.