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Article mis en ligne le 7 août 2016

MAIDUGURI (Nigeria) – On a beau être en pleine saison des pluies, la brousse qui s’étend en dessous de moi est poussiéreuse, sèche et brune, striée par une toile d’araignée de sentiers pédestres et de pistes en terre battue. Je me trouve à bord d’un avion qui descend vers l’aéroport international de Maiduguri et je plisse les yeux pour essayer d’apercevoir les hameaux que nous survolons.

C’est mon troisième voyage ici, et comme à chaque fois la rareté des cours d’eau naturels dans le paysage me met mal à l’aise. Comment les gens peuvent-ils survivre sous un climat aussi impitoyable avec si peu d’eau à leur disposition ?

(...) Je suis ici pour couvrir la dernière calamité à s’être abattue sur la capitale de l’Etat de Borno. Traversée par la rivière saisonnière Ngadda, Maiduguri a été fondée en 1907 par les colons anglais. Elle a été un carrefour commercial majeur au sud du Sahara ainsi que le théâtre de nombreux affrontements interreligieux au cours de son histoire. Elle est maintenant surtout célèbre pour avoir été le lieu de naissance de Boko Haram, le groupe rebelle islamiste qui ravage le nord-est du Nigeria depuis 2009 et dont la violence s’est propagée au-delà des frontières du Cameroun, du Tchad et du Niger. (...)

Ces dernières semaines, une nouvelle dimension choquante du conflit a éclaté au grand jour : en raison de graves pénuries alimentaires, des centaines de personnes, en particulier des enfants, souffrent de malnutrition aiguë sévère. Autrement dit, on meurt de faim au Nigeria. (...)

Environ 16.000 personnes vivent ici et la population augmente jour après jour. On peut presque sentir physiquement le goût du désespoir. Il n’y rien à manger, pas une parcelle d’ombre, et pas le moindre avenir. Des nuées de mouches à la recherche d’un peu d’humidité dans la canicule prennent d’assaut les yeux et les lèvres de femmes et d’enfants trop faibles pour les chasser. (...)

La plupart des personnes autour de moi ont fui la violence qui fait rage dans cette partie du pays. Ils ont abandonné leurs maisons, leurs fermes, leurs villages, tout ce qui faisait leur vie. Ils sont arrivés ici en n’apportant que les vêtements qu’ils avaient sur le dos. La soupe aux feuilles de baobab et les suppléments énergétiques distribués par les agences humanitaires ne suffisent pas à nourrir correctement tout le monde.

Les conditions sanitaires dans la clinique sont loin d’être satisfaisantes. Ce n’est qu’une structure informelle, faite de branches et de paille, sans eau courante et avec juste des tables, des bancs et une toile jetée sur le sol. (...)

Au début, je suis envahi par la colère. Comment le monde peut-il tolérer une chose pareille ? Ce sont des enfants… Puis j’ai envie de pleurer. Mais pleurer n’aidera personne, ne changera rien. La seule chose que je peux faire, c’est prendre des photos pour montrer cette situation le plus fidèlement possible au monde extérieur. (...)

Ces personnes ont perdu une partie de leur dignité. Avant, même si l’environnement était loin d’être idéal, ils cultivaient leur propre terre, ils étaient capables de nourrir leurs enfants. Boko Haram leur a pris tout ça. Maintenant ils ne dépendent plus que de la bonne volonté des autres. (...)

Mes images, une fois publiées, ont servi à illustrer l’alerte lancée par les Nations unies concernant la famine à Borno. Le risque est grave : 250.000 enfants de moins de cinq ans actuellement souffrent de malnutrition aiguë sévère dans l’Etat, dont 50.000 sont en danger de mort si rien n’est fait. (...)

Boko Haram a peut-être été repoussé pour le moment, mais les conséquences désastreuses de l’insurrection ne font que commencer. Ce n’est pas une question de terrorisme, de territoire, ni même de religion. C’est une question de vie humaine. (...)

Une nouvelle tragédie humanitaire se déroule sous nos yeux dans l’indifférence générale. Où sont passés les hashtags ?