
Ils ont fait l’actualité pendant des semaines, puis plus rien. Que sont devenus les salariés du volailler Doux, du groupe pharmaceutique Sanofi ou de l’enseigne culturelle Virgin qui ont lutté contre la fermeture de leurs entreprises ? Des millions d’euros ont été dépensés dans le cadre de « plans de sauvegarde de l’emploi » pour leur assurer une « sortie positive » après les licenciements et les restructurations. Des sociétés privées de reclassement ont été généreusement rémunérées. « L’État prendra ses responsabilités pour qu’aucun ne soit abandonné sur le bord de la route », avait promis François Hollande. Selon nos estimations, la majorité de ces salariés navigue entre chômage et contrats précaires. Enquête sur une vaste arnaque.
« Il reste 230 salariés à qui il faut trouver une solution, mais je ne doute pas un seul instant que ce sera fait. » En visite à l’abattoir porcin Gad, à Josselin (Morbihan), menacé de liquidation judiciaire, Manuel Valls est plein d’enthousiasme en cette froide matinée de décembre 2014. Mais pour les salariés de l’abattoir qui restent sur le carreau, après la reprise d’une partie de l’activité par Intermarché, son discours a un air de déjà vu. La manière dont se sont conclus trois des plus retentissants plans « sociaux » des dernières années ont de quoi rendre méfiants les employés en sursis.
En juin 2013, l’enseigne culturelle Virgin Megastore, trop endettée, dépose le bilan : 960 disquaires et libraires se retrouvent à la porte des 26 magasins. Un an plus tôt, c’est le leader du poulet industriel Doux, plombé par des erreurs d’investissements et des délocalisations hasardeuses, après avoir été le premier bénéficiaire des subventions agricoles – 50,5 millions d’euros en 2012 (lire notre article) ! Le spécialiste du poulet surgelé place son pôle de produits frais en liquidation judiciaire : un millier de volaillers sont licenciés. En 2012, l’entreprise pharmaceutique Sanofi scie sa branche recherche : ce champion du versement de dividendes à ses actionnaires et des « bonus de bienvenue » (4 millions d’euros pour le nouveau PDG Olivier Brandicourt) annonce la suppression d’un millier d’emplois d’ici fin 2015. Sur ses sites de Montpellier et de Toulouse, les effectifs – respectivement 1 500 et 600 salariés – sont réduits de moitié (lire ici). (...)
Elles s’appellent Anthéa pour Virgin, Altédia pour Sanofi, Catalys Conseil et Sodie pour Doux. Toutes vantent leur expertise en matière d’accompagnement des sans-emploi et la vendent au prix fort : Anthéa facture ses services 1,8 millions d’euros à l’enseigne culturelle, et brandit d’impressionnantes performances avec un taux de reclassement de 80 % [2]. « Le reclassement des chômeurs et des salariés est devenu un véritable business. Les tarifs pratiqués varient entre 2 000 et 3 000 euros par salarié suivi. A ce prix-là, la note globale affole rapidement les compteurs. A titre d’exemple, lorsqu’une usine de 1 000 salariés met la clé sous la porte, une société de reclassement peut espérer toucher plus de deux millions d’euros », décrit Cyprien Boganda, auteur du livre « Le business des faillites » [3]. Les politiques ont multiplié les promesses, les millions ont coulé à flots. Mais trois ans plus tard, que sont ces salariés devenus ? Ont-il vraiment été reclassés, ou sont-ils allés grossir le cortège interminable des chômeurs ? L’argent a-t-il été utilisé à bon escient ?
Seuls 10 à 15 % des salariés licenciés retrouvent un CDI
« Le réveil est douloureux », lance un ex-salarié de Virgin. (...)
« On commence à peine à utiliser les 5 millions consacrés à la formation », s’étrangle Christian Allègre, syndicaliste de Sud à Montpellier. Chacun cherche la « moins mauvaise solution » non sans stress, anxiété ou « pétages de plomb ». Heureusement, les experts de la reconversion professionnelle veillent à limiter le désastre social. « Rebondir après un licenciement économique, c’est possible », s’enthousiasme Catalys Conseil sur son site internet. Et de poursuivre, psychologue : « Il faut accepter un temps nécessaire à la reconstruction mentale du salarié. Il y a un fort sentiment d’appartenance à la grande entreprise. » Ces marchands de nouvelles vies professionnelles sont-ils à la hauteur ?
Altedia, le prestataire de Sanofi, a mis sur pied une sorte de « mini Pôle Emploi », témoignent des salariés montpelliérains. Ceux-ci y présentent leur projet personnel et leur éventuel intérêt pour un autre poste. Un logiciel répartit les postulants en fonction de leurs caractéristiques – âge, ancienneté, salaire. 40 consultants accompagnent les 350 salariés. Mais gérer des métiers aussi spécifiques que chimiste ou biologiste requiert une certaine compétence. Et Altedia se révèle bientôt n’être qu’une simple « boîte de messagerie », renvoyant les questions précises à la direction des ressources humaines de Sanofi. « On attendait parfois la réponse deux ou trois mois », poursuivent des employés. Sans parler des nombreuses erreurs de gestion à la limite de la confidentialité. Un salarié reçoit même une lettre d’avertissement de Sanofi pour avoir proposé une idée d’atelier à Altedia. Son sujet : « Comment éviter les plans sociaux ? »
Atelier « image de soi » et « relooking » pour futurs chômeurs
Ignorance, incompétence ou pur abandon des salariés, les dieux du coaching ne semblent pas aussi présents que promis. À tel point que « la plupart de ceux qui ont un boulot l’ont trouvé par eux-mêmes », relève Nadine Hourmant, du côté du volailler Doux. Un nouveau job décroché sans l’aide de Pôle Emploi ni des cellules de reclassement. Celles-ci vantent pourtant leurs « techniques de recherche de l’emploi », comme cet atelier « image de soi » ou « relooking » pour plaire aux employeurs. « Je n’ai pas besoin de me changer, je suis moi », raille Nathalie Griffon, qui a travaillé pendant 23 ans sur la chaîne de poulets Doux à l’usine de Pleucadeuc (Morbihan). Une formation lui a bien été proposée : à 120 km de son domicile, dans un organisme non agréé par Pôle Emploi, sans aucun frais de déplacement remboursé. (...)
Si certains voient dans ces cabinets un « mal nécessaire » au « bilan mitigé », la plupart les accusent d’être « largement sur-vendus ». « Ce sont des marchands de soupe qui servent à déresponsabiliser l’État », accuse la syndicaliste Nadine Hourmant. Pour se défendre, des organismes invoquent la loi qui « oblige les entreprises à faire appel à des opérateurs pour accompagner les salariés ». En réalité, si le code du travail impose aux entreprises une obligation de reclassement, il n’évoque le recours à ce type de service qu’à titre indicatif.
Le « business du chômage », évalué à 250 millions d’euros (...)
« C’est scandaleux : on ferait mieux de renforcer le secteur public, plutôt que de donner tant d’argent au secteur privé qui n’a pas de meilleurs résultats », gronde Joseph D’Angelo, de la CGT. En juillet dernier, la Cour des Comptes a épinglé l’inefficacité des « opérateurs privés de placement », illustrant leurs faibles performances en matière de retour à l’emploi, inférieures à celles de Pôle emploi. En 2011 déjà, un rapporteur de la mission travail et emploi dénonçait « une pratique coûteuse et à l’efficacité économique contestable ».
Le sale boulot réservé à Pôle emploi (...)
L’État ne semble pas vouloir tirer les leçons d’une décennie de dérégulation. Bien au contraire : le plan stratégique « Pôle Emploi 2015 » consiste à confier un « flux » plus important de chômeurs au privé. Le pôle public de l’emploi s’occupera des effectifs les « plus éloignés du marché du travail » tandis que le privé se concentrera sur les plus « autonomes ». Pour lui réserver de meilleures marges bénéficiaires ?
Les restructurations, elles, continuent. (...)
Dix mois d’attente « pour rien » (...)