Les matinées athéniennes deviennent désormais un peu humides, ailleurs dans le pays il pleut déjà. Dans les cafés, on commente la météo et la politique aux prévisions... de fait inséparables. La tristesse du désespoir plane partout, visible, ou sinon intériorisée et difficilement dissimulée. Nuages et nuées... très vénérables.
Parmi mes amis, en dehors de ceux qui participent directement aux faits politiques, le plus souvent au sein du mouvement de l’Unité Populaire et encore parfois chez SYRIZA, tous les autres, se disent prêts à ne pas se rendre aux urnes. Dégoût, épuisement moral et sentiment d’impuissance, l’ambiance du moment. Et il y a de quoi...
Le ministre dit “technique” des Affaires étrangères Petros Molyviatis au sein du gouvernement par intérim jusqu’à la formation d’un gouvernement... très officiellement issu des prochaines urnes, vient d’agir... après avoir consulté son homologue aux Finances Giórgos Houliarakis. Ainsi, lors d’un vote à l’Assemblée générale de l’ONU, Jeudi 10 septembre, proposant au vote de l’Assemblée neuf principes pour la restructuration des dettes souveraines.
Rappelons que ces principes remarqués par la presse même mainstream, sont “censés s’appliquer dans le cas de restructuration de dettes publiques sont : la souveraineté, la bonne foi, la transparence, l’impartialité, le traitement équitable, l’immunité souveraine, la légitimité, la durabilité et la règle majoritaire. " C’est un texte majeur, visant à limiter les abus des fonds vautours’, juge Bruno Colmant, économiste à l’Université catholique de Louvain, en Belgique”. Tristes et alors urgentes vérités. (...)
Voilà donc que sous l’impulsion de l’économiste religieusement européiste et proche de Yannis Dragasákis, la Grèce (au gouvernement non-élu), vient de modifier sa position et ses délégués s’astreindront du vote à l’ONU, contrairement aux orientations léguées par le gouvernement SYRIZA/ANEL, contrairement aux intérêts du peuple grec et en violation flagrante de l’esprit et de la lettre du travail déjà accompli par le Comité d’audit sur la dette grecque que Zoé Konstantopoúlou avait fait former du temps où elle exerçait ses fonctions de Présidente de l’Assemblée Nationale.
Le technocrate Houliarakis (au CV... significatif), déjà négociateur du mémorandum III, il a été choisi par Alexis Tsipras pour cette “gouvernance” par intérim, un choix en somme plutôt... désigné depuis les entrailles des institutions (Troïka). Sa nomination a été saluée d’ailleurs par Jeroen Dijsselbloem, le président fort connu de l’Eurogroupe : “Houliarakis sait ce qu’il fait parce qu’il a déjà très bien travaillé au sein du ministère pour la première moitié de l’année écoulée”. Pourtant, même le quotidien “Avgí” (SYRIZA) s’en insurge jeudi 10 septembre. Trop tard ! (...)
Le slogan central de SYRIZA, inventé par une agence publicitaire pour les circonstances forcement actuelles, ne fait plus aucune allusion à quelconque positionnement politique (par exemple de gauche) : “Nous nous débarrassons de ce qui est vieux, nous gagnons les lendemains, SYRIZA, seulement (droit) devant”. Certes, tout droit... devant le mur ou plutôt vers le précipice du mémorandum III ! Le mot “gauche” est évidemment banni du vocabulaire Syriziste, les marchands des slogans ont sans doute enquêté pour bien savoir que désormais, les Grecs ironisent très amèrement sur le précédant slogan SYRIZA de janvier 2015 : “Première fois à Gauche”. (...)
Les Grecs réalisent à présent que leurs partis politiques incarnent à peu près certains rôles, et ils y réussissent... à peu près. Ces élections sont d’ailleurs à juste titre assimilées à une étape décisive au plan de l’usurpation de la souveraineté populaire, autrement-dit pour mieux s’exprimer, de l’usurpation de derniers simulacres de cette dernière. Et n’en déplaise aux derniers... puristes de notre Gauche, l’Unité Populaire de Panagiótis Lafazánis ne serait pas en mesure de créer la surprise. Un front populaire ne se décrète pas la toute dernière minute... avant le mémorandum III.
Pourtant, la densité du temps historique et ainsi politique de la Grèce sous l’occupation européiste ne leur aurait pas laissé d’autre choix dans un sens. Trop tard peut-être ? Dans la rue, j’entends souvent les passants insulter Tsipras et ironiser sur la Gauche. Par contre, aucune prévision n’est vraiment possible, les sondages n’ont pas l’air de pouvoir dire quelque chose, surtout en ce moment. (...)
Le débat entre universitaires (de gauche), co-organisé par le mouvement de l’Unité Populaire et par le réseau des économistes RMF mercredi 9 septembre sur le thème : “La crise de la zone euro et la Gauche”, fut un tel moment.
Les trois économistes, Fréderic Lordon (France), Heiner Flassbeck (Allemagne) et Costas Lapavítsas (Grèce), ont apporté un éclairage pas forcement nouveau, mais néanmoins assez accompli (et ainsi pessimiste) de notre impasse, suite notamment à la... mémorandisation de SYRIZA.
Ce débat a été plus important en réalité que le supposé grand débat des journalistes et des chefs politiques qu’a eu lieu pratiquement le même moment dans le studio de la télévision ERT. Pourtant, l’amphithéâtre de la Faculté d’Économie à Athènes ne s’est pas totalement rempli et les medias de la “reductocratie” lui ont accordé une place alors infime.
Pour Fréderic Lordon, “la fonte des glaces en Europe ne fait que commencer. L’acte de décès de l’espoir SYRIZA avait été signe le 13 juillet 2015 (mémorandum III). C’était prévisible, dans la mesure où le but stratégique de SYRIZA était erroné, et par ailleurs, la direction (gouvernement) SYRIZA s’est montrée incapable d’apprendre après avoir analyser les événements en cours. Nous entrons dans une phase extrêmement dramatique et charnière en Europe, tout le monde le voit, ainsi, les pseudo-radicaux à l’instar de Thomas Piketty, veulent instaurer d’urgence un Parlement de l’Euro, une parodie de plus à travers la parodie de la Démocratie en Europe”. (...)
Car la Démocratie, c’est la possibilité de renverser la situation, chaque situation actuelle. Ainsi, ce que Yanis Varoufákis a déclaré dans une interview récente, accordée à un magazine français est profondément antidémocratique : ‘Il n’y a pas de chemin de retour à partir du moment où l’Union monétaire a été constituée’. Mon désaccord avec une telle logique est alors total, et ce qui est valable pour la Grèce, l’est autant pour nous tous. Il va falloir donc renverser la situation actuelle, celle de l’euro/Allemagne, et redonner ainsi place à l’espoir déchu en juillet dernier... par SYRIZA”.
Heiner Flassbeck (ancien Secrétaire d’État à l’Économie dans son pays) a fustigé “le rôle de l’Allemagne au sein de la zone Euro, bien plus funeste qu’il ne paraît. (...)
Costas Lapavítsas, a rappelé comment et combien “les mémoranda sont d’abord une guerre contre les pauvres et contre la classe moyenne, par exemple l’imposition qui pèse sur eux a augmenté de 340% depuis 2010, tandis que celle qui concerne les classes vraiment aisées a accru de 9% seulement. Depuis l’entrée même de la Grèce dans la CEE (1981), le pays a perdu essentiellement ses secteurs productifs, agriculture et industrie. Ensuite, l’euro a parachevé la catastrophe”.
“Il faut donc d’abord quitter la zone euro et ensuite, lorsque toute autre politique de restructuration économique et productive du pays en faveur du plus grand nombre de citoyens sera impossible à réaliser au sein de l’Union européenne, eh bien... il va falloir aussi organiser la sortie de l’UE, en expliquant bien les enjeux avant de poser la question au peuple. La route sera longue et pour s’en sortir, la Gauche doit rejeter l’européisme, sinon, l’avenir appartiendra à l’extrême-droite. Sans ce rejet, la Gauche ne se remettra plus jamais...”. (...)
Sur le marché près de la plage en cette localité de l’Attique, les Aubedoriens ont distribué des tracts et des... arguments. Sans trop de bruit, ni fracas. Indifférence ? Banalisation ? Nous avons observé de loin l’attroupement mobile des néonazis, tout cela n’a duré que quelques minutes, entre raisins de Corinthe et melons de Crète, fruits d’époque.
Au-delà de la vitrine, le millefeuille grec est plutôt amer à avaler. Dans les cafés, on commente la météo et la politique aux prévisions... de fait inséparables. La tristesse du désespoir plane partout, visible, ou sinon intériorisée et difficilement dissimulée. Certains prétendent qu’une certaine petite majorité silencieuse pourrait encore accorder un certain avantage à SYRIZA, par la force du désespoir. Anna croit savoir que les retraités, acquis jusqu’à présent au camp du mémorandum par peur de l’inconnu, y demeureront, sauf qu’au lieu de voter pour le PASOK ou pour la Nouvelle démocratie, soutiendront désormais Tsipras du mémorandum III. (...)