
Le politologue et historien de l’alimentation entend répondre point par point aux arguments des végans. Selon lui, ce n’est pas la consommation de viande mais le système industriel agroalimentaire qui est responsable d’un désastre écologique.
Je crois que nous devons sortir du faux débat « gentils végans » versus « méchants omnivores ». Les « lundis sans viande » ne sont ainsi pas nécessairement plus écologiques, car tout dépend de quelle viande vous parlez, issue de l’élevage industriel ou de l’élevage fermier, et de quelles céréales. Une prairie avec ses vaches ne constitue pas, par exemple, une source mais un puits de carbone. Une prairie de moyenne montagne absorbe environ une tonne de CO2 par hectare et par an. Le problème des végans, c’est d’avoir l’imaginaire claquemuré par le système industriel actuel, ils n’arrivent même pas à imaginer que puissent exister d’autres élevages que l’élevage hors-sol. (...)
Les végétariens promettaient au XIXe siècle de pouvoir vivre au moins jusqu’à 150 ans.
Les végans prétendent, aujourd’hui, avoir une meilleure santé que les omnivores, mais ils ne manquent pas seulement de vitamine B12 mais aussi de fer, d’Oméga 3 et même de sérotonine… (...)
J’aimerais surtout dire aux parents végans : cessez de remplacer le lait maternel ou maternisé par du faux lait à base de soja, car c’est extrêmement dangereux pour vos enfants. (...)
Les végans passent pour être des écolos et même des super-écolos, mais les principaux théoriciens du véganisme et de l’antispécisme (mondial ou français) vomissent l’écologie et les écologistes. Le symbole de la nature est, selon eux, la prédation animale, la souffrance des animaux sauvages. Ces végans admettent volontiers que la prédation humaine (l’alimentation carnée) ne constitue qu’une goute d’eau dans toute la prédation, c’est pourquoi ils proposent de modifier génétiquement les espèces, voire de supprimer les espèces prédatrices, ils clament n’avoir que faire de la biodiversité, ils sont du côté des biotechnologies, des OGM et demain des animaux génétiquement modifiés. L’écologie n’est pas soluble dans le véganisme mais le véganisme l’est dans le transhumanisme ! (...)
Le véganisme m’apparaît comme un retour à la vieille gnose, ce courant religieux de l’antiquité habité par un profond pessimisme, aux antipodes de l’amour véritable de la vie et du vivant. Cette nouvelle religiosité a ses grands prêtres, ses objets de culte, ses hérésies, ses excommunications. Tout cela serait presque amusant si cette pensée violente n’accouchait pas d’actes violents, envers les éleveurs, les chercheurs, les bouchers, les amateurs de pull en laine et de chaussures en cuir. Le véganisme, comme toute religiosité, possède ses mystères... Le plus grand mystère antispéciste est de déboucher sur un anthropocentrisme au carré, car ce serait à une petite minorité d’humains de décider quelles sont les espèces qui doivent être modifiées, quelles sont celles qui doivent disparaître. Les végans se prennent pour des dieux tout-puissants pouvant reformater le monde mais leur impuissance ne peut que déboucher sur la violence, violence contre eux et contre les autres. J’avoue que les rituels d’intégration au sein des milieux végans m’effraient lorsqu’ils conduisent à se faire marquer au fer rouge publiquement en solidarité avec les animaux d’élevage, j’avoue que d’entendre les végans traiter les éleveurs, les bouchers, les ouvriers des abattoirs, les mangeurs de viande de nazis et de SS et comparer les abattoirs aux camps d’extermination m’horrifie. (...)
Vous publiez chez Larousse une « lettre ouverte aux mangeurs de viandes » : est-ce pour vous donner bonne conscience lorsque vous en mangez ?
Paul ARIÈS.- Votre question s’adresse au gourmet et au spécialiste de l’histoire de l’alimentation. J’ai suffisamment montré dans mon « Histoire politique de l’alimentation du paléolithique à nos jours » que le végétarisme a été dans l’histoire une idéologie « bonne à tout faire » pour être vigilant chaque fois qu’on veut de nouveau interdire aux gens de manger de la viande. Les puissants ont très vite inventé le séparatisme alimentaire en ne voulant plus manger ni la même chose ni de la même façon que les gens ordinaires et en leur interdisant la viande. Le refus de la viande est aussi lié historiquement au refus de l’alcool, de la sexualité, bref de la jouissance, à l’exception notable de l’Encyclopédie de Diderot qui prône le végétarisme au nom d’une illusion, ne plus tuer d’animaux rendrait les humains bien meilleurs. (...)
Le véganisme n’est pas en effet la poursuite du végétarisme et du végétalisme sous un autre nom, c’est une véritable idéologie politique qui sape les frontières entre les espèces tout en servant de cheval de Troie aux biotechnologies alimentaires comme les fausses viandes industrielles. (...)
De nombreux observateurs font du véganisme la « cause de l’année » 2018 : pourquoi selon vous un tel engouement ?
Une société a toujours besoin de grandes utopies : celles du XXe siècle se sont conclues en tragédies. La nature ayant horreur du vide, le véganisme prend la suite d’autres idéologies mortifères comme le stalinisme qui promettait aussi des lendemains qui chantent et prétendait aussi apporter l’égalité. Le véganisme est le cache-sexe du courant dit de la libération animale ou de l’égalité animale. Ces fantasmes végans sont d’autant plus en phase avec notre modernité que nous avons largement perdu tout contact avec la nature, c’est pourquoi la pensée végane est d’abord une pensée urbaine, et qu’ils coïncident aussi avec les stratégies alimentaires des grands groupes économiques. Les végans sont les idiots utiles des fausses viandes, des faux fromages, des faux laits qui vont bientôt envahir nos étals, avec, par exemple, de la fausse viande réalisée à partir de cellules-souches. Un consortium fort de 2,2 billions de dollars entend imposer avec Jérémy Coller ces « fausses viandes ». Tout est prêt : les brevets, les capitaux, l’acceptabilité, on calcule déjà le retour sur investissement ! Si l’idéologie végane n’existait pas, le secteur de l’industrie agro-alimentaire devrait l’inventer. (...)
Le premier gros mensonge des végans est de vouloir faire croire que l’élevage serait la cause de la famine, comme si la responsabilité était celle d’un régime alimentaire et non d’un système. Les animaux ne sont pas nécessairement des concurrents aux besoins alimentaires humains. Une vache est un miracle de la nature, qui mange de l’herbe et la transforme, pour nous, en protéines. Le vrai scandale est que l’industrialisation pousse à nourrir des animaux avec des céréales, que l’agriculture industrielle consomme, aujourd’hui, plus de calories qu’elle n’en apporte. Les végans accusent aussi les omnivores d’être responsables de la crise de l’eau potable menaçant l’humanité. Vous connaissez les chiffres : il faudrait 1 000 litres d’eau pour un kg de blé et 15 000 pour un kg de bœuf, mais ces chiffres confondent l’eau réellement consommée par les vaches, 3 % du total, l’eau nécessaire à l’assainissement, encore 3 %, et les 94 % que représentent l’eau de pluie. L’agriculture est la principale cause de gaspillage de l’eau avec des taux de perte de 40 à 60 %. La firme McDonalds ponctionne autant d’eau pour l’ensemble de son processus industriel que le quart de l’humanité… (...)
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Aymeric Caron est journaliste, écrivain et auteur de Antispéciste, No Steak, et Vivant.