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Pédophilie : la révolte du père Vignon, juge ecclésiastique
Article mis en ligne le 20 octobre 2018
dernière modification le 19 octobre 2018

La Parole Libérée a délivré les mots des victimes d’actes pédophiles dans le diocèse de Lyon. Mais aussi ceux de Pierre Vignon, un prêtre qui vit dans les hauteurs du Vercors. Dans une lettre ouverte, ce juge au tribunal ecclésiastique de Lyon a exhorté le cardinal Barbarin à démissionner et à prendre acte de ses erreurs. Rencontre avec un religieux du maquis, qui résiste contre la racine des abus : le cléricalisme.

Lyon Capitale : Êtes-vous une grande gueule ?

Pierre Vignon : Les grandes gueules sont utiles. Le côté négatif est qu’elles imposent leur volonté et, en ce sens, je n’en suis pas une. Je dis simplement, après la lecture de la lettre du pape François pour une réponse de toute l’Église au problème des abus : ça suffit ! Les arabesques de jésuites sur des parquets d’archevêché, nous n’en voulons pas. Compte tenu du magnifique trou dans lequel je vis, je ne pouvais pas prévoir l’impact que cela aurait.

Il faut quand même oser, en tant que prêtre, demander la démission du primat des Gaules…

Je ne suis pas animé par la haine et ma lettre n’est pas une invitation à un chamboule-tout chrétien avec la tête du cardinal. Je ne m’en suis pas pris à Philippe Barbarin, l’homme de grande qualité et aimé légitimement. Le règlement de comptes avancé par certains est une explication simpliste par rapport à la gravité du problème. Je m’en prends à sa fonction. Sur le dossier capital de la pédophilie, il a pris conscience de la gravité de l’affaire bien trop tard par rapport aux soixante-douze victimes déclarées de Bernard Preynat. (...)

Que lui reprochez-vous dans sa gestion de l’affaire ?

Le cardinal n’a pas su créer le lien avec les victimes. Se mettre tout de suite sur la défensive a créé un blocage. Après des séances d’autoflagellation, il dit que sa porte est ouverte. C’est très bien. Mais personne ne la franchit. Je ne juge pas de ses intentions mais, qu’il le veuille ou non, il ne peut pas être celui qui va établir le contact avec les victimes de La Parole Libérée. Et il faut aller au-devant dans un dialogue à égalité. Ce sont des hommes très intelligents, ils ont compris que leur prédateur était un malade.

Publiée sur Internet,la pétition liée à votre lettre ouverte a été signée par plus de 100 000 personnes. A-t-elle seulement provoqué des réactions de soutien ?

Ma demande peut paraître une monstruosité aux yeux de traditionalistes et conservateurs. Certains m’écrivent pour dire que j’attaque l’Église. Ils n’ont rien compris. Leur positionnement correspond à une mentalité de classe, un entre-soi qui ne veut pas être dérangé et en dehors des réalités du monde. Une telle mentalité ne renverse pas l’ordre établi, elle s’écrase. Je viens d’une tradition fondée sur le christianisme social. L’Église n’est pas une pyramide hiérarchique dans laquelle on doit être coincé et ne pas respirer. Elle propose des idéaux de foi très élevés auxquels on adhère librement, ce qui est mon cas. (...)

Qu’avez-vous ressenti à la lecture de la lettre du pape François ?

Je lui rends grâce d’avoir identifié la racine des abus : le cléricalisme. Au sein de l’Église, beaucoup veulent se faire soulager du poids de leurs angoisses. Je suis heureux d’être prêtre depuis trente-huit ans et me suis toujours interdit, par déontologie, de prendre une décision à la place de quelque chrétien que ce soit. Mais se sont infiltrés dans nos rangs du clergé et de l’épiscopat des gens qui usent d’une position de domination : “Je vous dis, au nom de Dieu, ce que vous devez faire et vous n’avez qu’à obéir.” C’est une falsification, une déviance. Ces gens-là n’ont rien à faire dans l’Église. Ce qui est incompréhensible, c’est qu’ils aient pu être protégés. (...)

Qu’avez-vous pensé de la stratégie de défense du diocèse de Lyon ?

Elle est catastrophique. Avec, dès le début, le sentiment de réactions de com’ et non pas de pasteur. (...)

Est-ce qu’un chrétien, à plus forte raison un archevêque de Lyon, doit attendre le délibéré d’un tribunal correctionnel pour poser un jugement moral de conscience ? La réponse est non. Et le cardinal le sait très bien puisqu’il a dit avoir reconnu les faits reprochés à Bernard Preynat en 2014, puis en 2007, puis finalement en 2004. (...)

Je ne crois pas qu’être trop docile rende service à nos chefs. Quand mon évêque est arrivé dans le diocèse de Valence, je lui ai dit que je lui serais toujours obéissant et loyal, mais jamais servile. Autrement dit, je ne vais pas être un courtisan qui va cirer les chaussures. C’est dans ma nature. (...)

Qu’est-ce qui devrait changer ?

Du mot grec episkopos, “évêque” ne veut pas dire surveiller mais “veiller sur”. Il est essentiel qu’ils exercent davantage leur fonction de vigilance face aux prédateurs égarés dans nos rangs (...)

À partir du moment où la victime fait exploser sa prison, la vie devient très difficile pour les prédateurs. Ce qui est en train de se passer sous nos yeux doit se faire dans toute la société. Que le mouvement commence dans l’Église est une bonne chose. Mais il faudra que cela continue partout. En France, un enfant sur cinq est abusé.