
Avec le documentaire « Lettre à G. — Repenser notre société avec André Gorz », quatre jeunes gens se sont improvisés réalisateurs pour parler du pionnier de l’écologie politique en France. Son projet de refondation sociale et écologique — la « civilisation du temps libéré » — ouvre des perspectives enthousiasmantes.
Imaginez une société où l’on vivrait mieux qu’aujourd’hui, de façon plus libre, plus détendue, plus riche de sens. Une société où l’on travaillerait moins, et où il serait possible de développer plusieurs activités : devenir musicien, jardinier, créer un habitat collectif… ou tout autre chose que le temps libre nous permettrait de concevoir. Il y a tant de « vraies richesses » relationnelles, spirituelles, manuelles… à vivre, au lieu « d’épuiser sans joie nos forces à produire ce que, entre le métro et le dodo, nous espérons trouver le temps d’user », disait en substance André Gorz (1924-2007), qui écrivit une quinzaine de livres au croisement de la critique sociale, de la philosophie et de l’écologie politique.
Cette société dite du temps libéré n’est pas une rêverie futile. C’est celle que cet essayiste et journaliste atypique imaginait la plus à même de répondre à l’urgence de réduire drastiquement notre consommation matérielle et énergétique, pour préserver l’habitabilité de la Terre.
La plus à même aussi de déjouer la précarité sociale, conséquence d’une gestion « perverse » de la réduction du nombre d’emplois suite aux mutations techniques. (...)
À l’heure de l’urgence écologique et d’une colère sociale grandissante, ce film pose une question des plus pertinentes : « Qu’est-ce que c’est aujourd’hui qu’entrer en résistance ? » Et offre, avec André Gorz, une réponse riche de perspectives émancipatrices en proposant de « définir, dès le départ, pour quoi on lutte et pas seulement contre quoi. »
C’est Manon, une jeune femme diplômée mais précaire (elle est livreuse à domicile) qui mène l’enquête. Gorz lui répond par le biais d’archives vidéo et audio, ouvrant tout un champ de réflexions existentielles, sociales et politiques étonnamment riches, loin des perspectives étroitement gestionnaires de l’écologie politique officielle. (...)
Alléger le temps de travail pour construire une société écosociale
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La société du temps libéré escompte soustraire les humains à l’emprise du consumérisme (...)
Transformation sociale ou éco-fascisme : y a-t-il d’autre choix ?
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Sans transformation sociale, nous alerte l’auteur d’Écologie et liberté (Point, 1978), la catastrophe écologique peut très bien déboucher sur un « éco-fascisme ». En s’appuyant sur une expertocratie, l’État renforcerait encore la domination capitaliste et dépossèderait d’autant les citoyens de toute possibilité d’action. Une vision qui résonne d’autant plus aujourd’hui que la répression sociale s’intensifie.
Le documentaire, autoproduit, est projeté dans des cinémas et des salles communales en France.
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Et vous, cela vous paraît irréaliste ? Une utopie ? Voici ce qu’André Gorz vous répond : « L’utopie ne consiste pas, aujourd’hui, à préconiser le bien-être par la décroissance et la subversion de l’actuel mode de vie ; l’utopie consiste à croire que la croissance de la production sociale peut encore apporter le mieux-être, et qu’elle est matériellement possible. »