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Petits reportages entre amis (macronistes) au JT de TF1
Article mis en ligne le 7 septembre 2019
dernière modification le 6 septembre 2019

Le 12 février, le JT de 20h de TF1 diffusait un « reportage » intitulé « Changer ses contrats : c’est facile et ça peut rapporter gros ». Aurons-nous droit à une plongée de la rédaction dans la « vie des Français » ? À une enquête sociale montrant la difficulté de millions de familles à faire face aux dépenses du quotidien ? Pas vraiment… TF1 va plutôt servir aux téléspectateurs ce que l’on appelle aujourd’hui un « journalisme de solution ».

En d’autres termes, prodiguer ses « conseils » pour faire des économies, et mieux gérer ses factures. Outre les biais de cette démarche, le reportage va très vite se transformer en un dépliant publicitaire pour une start-up fondée par… un (très) proche d’Emmanuel Macron. Une information d’importance, qui est pourtant passée entre les mailles du script de la rédaction : vous avez dit déontologie ? (...)

« Changer de contrat, c’est pourtant loin d’être un réflexe pour tous. […] Alors, pourquoi ne faites-vous pas jouer la concurrence ? » S’ensuit un micro-trottoir de quelques secondes où des passants pointent « le manque de temps », le « marasme de numéros de téléphone », ou le fait de « ne pas être gestionnaire ».

Autant de problématiques que va rapidement résoudre notre « journaliste de solutions » en prenant la direction d’une start-up spécialisée dans l’aide personnelle à la réduction des factures courantes, « JeChange », dont il va interviewer le fondateur, Gaël Duval : « Pourtant selon ce spécialiste, les obstacles pour changer de contrat sont aujourd’hui beaucoup moins nombreux qu’auparavant ». (...)

la start-up de Gaël Duval n’aurait pu rêver meilleur dépliant publicitaire : merci à TF1, dont le sujet permet en outre de diffuser un point de vue libéral en matière d’économie : outre la célébration directe de la concurrence, ce reportage glorifie l’idée selon laquelle les tarifs de services peuvent varier légitimement du tout au tout, et ce sans aucune transparence vis-à-vis du public. Une autre manière de « responsabiliser » (en langage Macron) les familles précaires, en sous-entendant qu’il ne tient qu’à elles (et à leur temps) de « changer » et de payer moins cher ; entendre « si vous continuez d’être pauvre, c’est que vous l’aurez bien cherché » [1].

Publi-reportages entre copains (macronistes)

Mais c’est loin d’être fini. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que la facture de TF1, elle, s’alourdit après quelques recherches concernant les deux protagonistes du reportage : qui sont donc Gaël Duval et Clémence Cherier, interviewés par le journaliste de TF1 ? (...)

Résumons : TF1 commet un publi-reportage d’une start-up, dirigée qui plus est par un très proche d’Emmanuel Macron, détail malencontreusement omis par la rédaction. En appui à ce « reportage », TF1 fait intervenir la belle-sœur du fondateur de l’entreprise promue par la chaîne, omettant là encore de mentionner les liens de parenté. Il serait intéressant que « Jechange » communique sur les retombées de cette opération. Nul doute que le retour sur « investissement » a été fructueux. Si « Jechange » a su tirer les bonnes ficelles pour diffuser une publicité de deux minutes sous forme de reportage journalistique, la plus optimale pour « convaincre le consommateur », le présentateur n’a pas été en reste, reconverti pour l’occasion en commercial-maison. Rien à dire : en matière de plan de comm’, d’indépendance et de déontologie, TF1 est tout à fait dans l’air du temps : une chaîne première de cordée. (...)

Et ce n’est pas encore fini ! On peut dire que TF1 ne lésine pas sur la promotion des activités des Duval. Le 2 août 2018, l’équipe du JT commettait déjà le même genre de reportage publicitaire, embarqué cette fois-ci au cœur de « Yuj Yoga Studio », une salle de yoga parisienne qui a fait des petits dans les arrondissements chics de la capitale [5] et à Chamonix. La fondatrice de cette société ? Hélène Duval, compagne de Gaël Duval et grande admiratrice, elle aussi, du couple Macron, avec qui elle s’affiche sur Facebook au soir de la proclamation de l’élection du Président par le Conseil Constitutionnel, le 10 mai 2017 (...)

Cette confusion totale entre le journalisme dit « business » dans le cas de Gaël Duval, dit « lifestyle » dans le cas d’Hélène Duval et la communication marchande passe un cap supplémentaire dans la presse magazine et spécialisée. Le 16 octobre 2013, on pouvait par exemple subir le reportage du web-magazine déco-design « Intérieurs », ravi de faire la visite du domicile… d’Hélène et Gaël Duval. Présentés comme simples « propriétaires », les deux tourtereaux se succèdent mielleusement au micro pour commenter la déco de leur intérieur bourgeois, sans omettre de citer le nom de marques toutes plus luxueuses les unes que les autres.

Vous avez dit misère ?

***

Que reste-t-il du journalisme lorsque la rédaction de TF1 feuillette son carnet d’adresses pour fabriquer de toutes pièces un reportage publicitaire prêt à servir à la grand-messe du 20h ? Que reste-t-il du journalisme dans un reportage plébiscitant les activités commerciales d’un compagnon de route de Macron, membre qui plus est d’une structure publique, sans que ces informations soient apportées aux téléspectateurs ? Que reste-t-il du journalisme quand les carrières entrepreneuriales de quelques-uns (qui diront évidemment « s’être faits tout seuls ») sont littéralement co-construites par les grands médias des années durant ? (...)

Une impunité entre amis qui fait le bonheur de l’esprit libéral façon « start-up nation », le tout sur le dos des usagers des médias, que les grands pontes du journalisme n’ont pas fini de prendre pour des imbéciles.