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Mediapart
Pétrole : le cartel des pays producteurs ajoute sa pierre à la récession mondiale
#coursdupetrole #guerreukraine #arabiesaoudite
Article mis en ligne le 9 octobre 2022
dernière modification le 8 octobre 2022

En décidant de réduire massivement sa production pétrolière, l’Opep+, le cartel des pays producteurs, prend le risque de précipiter une crise mondiale. Maître du jeu dans l’organisation, l’Arabie saoudite est désormais totalement ralliée à la Russie. L’Occident n’a jamais été aussi isolé.

L’horizon s’est un peu plus assombri pour l’économie mondiale. En décidant le 5 octobre de réduire à partir de novembre leur production pétrolière de 2 millions de barils par jour, les membres de l’Opep ont anéanti toutes les tentatives des États-Unis et de l’Europe d’atténuer le choc énergétique à l’œuvre depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Ils plaidaient pour un pétrole bon marché afin d’éviter une récession mondiale. Les pays producteurs ont opté pour une baisse drastique de la production, afin de soutenir un cours élevé du brut.

Les foudres de la Maison Blanche se sont déchaînées dès que la décision du cartel a été connue. L’administration Biden y voit une attaque directe contre la politique américaine. (...)

« Dites-moi où est l’acte de belligérance ? », a répliqué le prince Abdulaziz Ben Salmane, ministre saoudien de l’énergie, en réponse aux accusations américaines. Selon lui, le cartel a juste choisi de « ne pas jouer avec le marché ». À suivre l’analyse de l’Arabie saoudite, qui donne le ton au sein de l’Opep+, il est nécessaire de réduire la production, compte tenu du ralentissement de l’économie mondiale, afin de ne pas voir les cours s’effondrer.

Dans le passé, le cartel a plusieurs fois adopté une politique de réduction de sa production afin de rééquilibrer l’offre et la demande sur le marché pétrolier. Mais il le faisait à chaque fois de façon mesurée, à petits pas. Cette fois-ci, il a pris un bazooka. Supprimer deux millions de barils par jour, c’est réduire l’offre à hauteur de 2 % de la consommation mondiale. Il faut remonter à l’époque de la guerre Kippour en 1973 pour retrouver une politique de restrictions aussi agressive. Cela avait été à l’origine du premier choc pétrolier. (...)

De plus, en dépit du ralentissement économique, le monde consomme toujours autant de pétrole. Certains pays en utilisent même plus qu’avant, le brut servant de substitut au gaz de plus en plus rare, de plus en plus cher.
Considérations géopolitiques

Alors que ces dernières semaines les cours du pétrole avaient commencé à baisser autour de 80 dollars le baril, ceux-ci ont remonté dès l’annonce du cartel. (...)

De fait, l’annonce faite lors du dernier sommet du G7 de vouloir imposer un prix plafond au pétrole russe a été très mal accueillie par l’ensemble des pays producteurs. Tous y ont vu une volonté occidentale de contrôler le marché pétrolier et d’y imposer ses règles. Alors que beaucoup d’entre eux avaient déjà adopté une position « neutre » à l’égard de la Russie depuis le début de la guerre en Ukraine, les dernières déclarations occidentales les ont amenés, s’il en était besoin, à soutenir encore plus les positions russes.

Pour Moscou, ce ralliement de l’Opep+ est une victoire importante. La réduction de la production du cartel va lui permettre de limiter ses pertes financières, alors que la Russie a déjà perdu plus d’un million de barils par jour de production depuis le début de l’invasion de l’Ukraine. (...)

Rupture consommée avec l’Arabie saoudite

Le revirement de l’Arabie saoudite est le plus spectaculaire. Depuis 1974, Riyad a été un des partenaires les plus solides, les plus sûrs des États-Unis. Allié essentiel au Moyen-Orient, il a été aussi un acteur indispensable pour assurer la prééminence du dollar dans le commerce international et l’essor de la finance américaine assurant le recyclage des pétrodollars dans l’économie mondiale. (...)

La volonté des États-Unis de concurrencer les pays producteurs avec le gaz de schiste et la montée en puissance du prince héritier Mohammed Ben Salmane ont ébranlé les relations entre les deux pays. Depuis six ans, les liens n’ont cessé de se distendre, alors que la Russie rejoignait de facto l’Opep et en devenait un membre influent.

Déclaré « paria » après l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi par Joe Biden, le prince héritier Mohammed Ben Salmane n’a cessé de renforcer ses liens avec Moscou. (...)

Inflation et récession

Les conséquences de ce basculement géopolitique ne peuvent encore être mesurées. Mais leur traduction économique se devine déjà. La réduction de la production pétrolière des membres de l’Opep ne peut que pousser à la spéculation et à une nouvelle envolée des prix du pétrole. (...)

Les pays pétroliers, eux, seront les grands gagnants, au moins dans un premier temps : l’addition de cours élevés et d’un dollar fort va leur assurer des rentrées financières substantielles. Même si la Russie arrête de vendre son gaz et son pétrole à l’Europe, elle bénéficiera toujours de rentrées importantes pour financer sa guerre en Ukraine. (...)

Faute d’avoir pensé une stratégie énergétique assurant à la fois sa sécurité et les impératifs écologiques depuis des décennies, l’Europe se retrouve à la merci de tous les vents, prête à tout. Ces derniers jours, une petite musique a commencé à se faire entendre : puisque les États-Unis résistent mieux au choc énergétique en raison de leur production de gaz et d’huile de schiste, pourquoi ne pas revenir sur l’interdiction de la fracturation en Europe ? Le débat est publiquement ouvert en Grande-Bretagne. Mais des intérêts puissants lorgnent déjà autour de la Pologne, et du bassin parisien, censés regorger de réserves. Dans la panique, beaucoup semblent prêts à jeter tout par-dessus bord, y compris la préservation du monde à long terme.