
« À chaque appel, je m’inquiète : que vais-je encore apprendre ? », se lamente le président malien, Ibrahim Boubakar Keita, qui paraît surtout dépassé par les évènements. La grande peur du moment, chez les chefs d’État ouest-africains, est que les « revenants » djihadistes défaits en Irak et en Syrie viennent trouver refuge au Sahel, via des « portes d’entrée » comme la Libye, la Somalie, le Soudan.
La création du « G5 Sahel », qui pourrait prendre le relais un jour de l’opération militaire française « Barkhane », est une des réponses trouvées à cette menace. Reste à la financer…(...)
le sommet de l’Union africaine en juillet 2016 a ratifié l’objectif d’un financement par les États africains de 25 % du coût des opérations africaines de paix, notamment à travers la création d’un fonds africain pour la paix qui serait alimenté par une taxe de 0,2 % sur les importations — objectif qui est régulièrement rappelé depuis. L’avenir, selon Sada, est à des déploiements plus rapides, des mandats plus offensifs, et des coûts moindres que dans le système onusien (2).
Pleine capacité
Ce sera sans doute le profil de la force régionale du « G5 Sahel », lancée en 2017. Elle rassemble le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Tchad — cinq pays frappés par les attaques de groupes djihadistes : ces derniers font régner la terreur dans les confins désertiques de ces pays, mais aussi dans leurs capitales et grandes villes, par des attentats et autres exactions de type terroriste.
Imaginée sur la lancée des engagements militaires tchadiens au nord-est du Nigeria (contre Boko Haram) et au nord du Mali (aux côtés des Français), l’opération conjointe des cinq États sahéliens a pris forme cette année après plusieurs réunions de haut niveau, puis la création d’un état-major intégré installé à Sévaré, au Mali, et enfin le lancement fin octobre d’ une première opération baptisée « Hawbi », dans la zone fes « trois frontières » (nigéro-burkinabé-malienne). La force G5 Sahel devrait atteindre en principe sa pleine capacité opérationnelle à partir de mars prochain. A terme, elle pourrait comprendre jusqu’à 5000 hommes. (...)
Pour une fois, les obstacles politiques semblent levés — à l’exception peut-être de l’agacement du Sénégal, qui aurait voulu être associé plus étroitement à cette initiative régionale. Le G5 Sahel a en tout cas reçu la bénédiction de l’Union africaine, ainsi que le feu vert de principe de l’ONU, à travers la résolution 2359 (mais sans engagement financier à ce stade). Et, bien sûr, l’encouragement français. Le Tchad, bien qu’économiquement exsangue, s’en veut moteur sur le plan militaire, grâce à son armée particulièrement aguerrie, qui a fait ses preuves à nouveau ces dernières années sur les terrains malien ou nigérian, et en a payé le prix du sang.
Génération difficile
Mais, « s’agissant de pays qui font partie des plus pauvres de la planète, générer une force à partir de leurs propres armées, qui manquent déjà beaucoup de moyens, est d’autant plus difficile », reconnaît le général Bruno Guibert, commandant depuis juillet dernier de la force française « Barkhane », que le G5 Sahel pourrait remplacer dans un terme plus ou moins lointain. (...)
Ayant fait valoir que la sécurité au Sahel conditionne en partie celle de l’Europe, la France milite pour une implication plus significative de ses partenaires européens, cantonnés jusqu’ici à une prise en charge de la formation des unités de l’armée malienne, ou à des soutiens opérationnels ponctuels — à l’exclusion de toute mise en oeuvre d’une capacité offensive. (...)
trois ans après sa création, Barkhane marque le pas : l’adversaire, bien que limité en nombre — moins d’un millier d’hommes —, s’est dilué en une myriade de groupes et commandos composés de quelques hommes, difficilement identifiables, qui s’attaquent aux points faibles (casernes de gendarmes, unités de la Minusma, bus civils, etc. (4)), si bien que l’insécurité a gagné des régions jusque-là épargnées, comme le centre du Mali. (...)
Cette escalade militaire peut rassurer des gouvernements, puisqu’elle permet un traitement en temps réel de la probable ou supposée menace ; mais elle inquiète aussi certains observateurs qui s’interrogent sur la militarisation du Sahel depuis le déclenchement en 2013 de l’opération Serval, ses faibles résultats « techniques » et ses possibles retombées politiques : « Des drones armés français et américains dans le ciel ouest-africain, ca vous rassure ? », demande par exemple dans une tribune récente sur le site Wathi Gilles Yabi, ancien animateur du bureau Afrique de l’Ouest de l’International Crisis Group (ICG).
« Tout se passe, écrit-il, comme si les modalités de la guerre contre le terrorisme sous pilotage stratégique extérieur ne pouvaient pas s’avérer aussi dangereuses pour les perspectives de paix et de sécurité en Afrique de l’Ouest que le mal terroriste qu’elle est censée traiter.
Est-ce une si bonne nouvelle pour les populations des pays sahéliens, qui vivent pour leur majorité dans des conditions économiques, sociales et environnementales spartiates, de savoir que leurs territoires seront survolés par des engins volants pilotés à distance capables d’éliminer à tout moment des ennemis choisis souverainement par Paris ou Washington DC ?
Lequel des États de la région est capable de fixer des lignes rouges à ne pas dépasser à ses partenaires américains et européens dans le déploiement de leurs actions offensives ? », poursuit Gilles Yabi, qui s’inquiète des « dommages collatéraux » créés au sein de la population par les tirs plus ou moins ajustés de ces robots-tueurs, qui deviendraient autant d’arguments en faveur de la propagande et du recrutement des groupes djihadistes du Sahel.