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Pièges à lapin, plantes comestibles et purificateurs d’eau : j’ai suivi un stage survivaliste
Article mis en ligne le 21 juillet 2020
dernière modification le 20 juillet 2020

« Tout le monde a son couteau et sa scie pliante ? On va pouvoir commencer. » Accroupis autour d’Éléonore, leur monitrice de survie, les cinq stagiaires se concentrent. Levés pour la plupart aux aurores, ils ont chacun déboursé 179 euros pour apprendre, le temps d’un weekend, les bases de la « survie en pleine nature » dans cette forêt du Doubs, à proximité de Besançon. Leur mission de l’après-midi : collecter du bois afin d’alimenter le feu qui leur permettra de se chauffer et de se nourrir ce soir. L’exercice est plus technique qu’il n’y paraît.

À la tombée de la nuit, au coin du feu, le petit groupe ne refait pas le monde, mais s’échange des conseils pour survivre en milieu hostile : comment cuisiner des insectes, démarrer un feu à partir de poils du nombril, dormir sans sac de couchage par -10 °C… « C’est grisant de se dire que l’on peut repousser les limites de la plupart des gens et se débrouiller dans la nature avec seulement quelques techniques », dit Éléonore. (...)

Avant de devenir monitrice de survie, Éléonore était infirmière. Elle a commencé à s’intéresser au survivalisme après avoir été sensibilisée, dans le cadre de son travail, aux risques NRBC : nucléaires, radiologiques, biologiques, chimiques. À l’époque, elle vivait à proximité de la centrale de Fessenheim et de plusieurs sites industriels Seveso. « Je me suis demandée ce que je ferais en cas de catastrophe », explique-t-elle. (...)

Éléonore s’efforce désormais de vivre de la manière la plus autonome possible, et conserve en permanence trois mois de stocks chez elle, « au cas où ». (...)

Né dans les années 1960 au sein de l’extrême droite états-unienne, le survivalisme consiste à se préparer à « la fin du monde telle que nous le connaissons » (...)

Le mouvement a gagné la France dans les années 1980, sous l’égide du Groupe union défense (GUD), une organisation d’extrême droite qui pratiquait la violence. Ses membres affirmaient se défendre contre ceux qu’ils considéraient comme les ennemis de la nation. « Depuis les années 2000, le survivalisme a profondément changé », note cependant Bertrand Vidal, sociologue et auteur de Survivalisme. Êtes-vous prêts pour la fin du monde ?. (...)

Avec le temps et la multiplication des alertes scientifiques, les angoisses des survivalistes ont évolué. Elles se cristallisent aujourd’hui autour du réchauffement climatique et de la crise économique. Le succès des émissions de téléréalité et des salons dédiés à la survie a également permis au survivalisme de séduire un public beaucoup plus large. Selon le sociologue, les survivalistes sont désormais en majorité des individus « rationnels et qualifiés », souvent urbains, qui se sentent déracinés et cherchent un sens à leur existence. « Le survivalisme tend aujourd’hui à adoucir son message, comme toujours lorsqu’un mouvement se généralise », explique le sociologue. (...)

Le caractère hétéroclite du mouvement se reflète dans la composition des stagiaires (...)

Thomas, comme le reste des stagiaires, explique faire partie d’une branche tempérée du survivalisme. « Certains sont fous, raconte-t-il. Ils ont une pièce complète dans leur appartement remplie d’arcs à poulies, de carabines… Ils sont prêts à faire la guerre. » « Moi, à côté, c’est le survivalisme petite maison dans la prairie ! », s’amuse Éléonore. Le cliché du survivaliste états-unien reclus dans son bunker l’agace : « Le but, c’est simplement d’être le plus autonome possible, d’avoir un jardin qui se gère tout seul, des poules, son eau… » Comme le reste de ses stagiaires, elle fustige la société de consommation et la mondialisation. Elle prône au contraire un retour au local et aux savoirs ancestraux, qu’elle tente de transmettre à travers l’organisation de ces stages. (...)

le survivalisme se distingue pourtant de l’écologie politique sur des points essentiels, avertit Bertrand Vidal. « Les survivalistes estiment que la société de confort nous pervertit, fait de nous des assistés, et qu’il faut se confronter aux éléments pour réveiller sa nature de survivant, explique le sociologue. Dans l’écologie, il y a cette idée de soigner la planète. Les survivalistes, au contraire, disent qu’il faut soigner l’être humain. » (...)

Les survivalistes peuvent également avoir, selon lui, une image idéalisée de la nature, qu’ils perçoivent comme une figure d’autorité aux pouvoirs salvateurs. « Certains ont été bercés par les contes de Disney et ont une vision très suave de la forêt enchantée, explique-t-il. Ils fantasment le retour à la nature, qu’ils se représentent comme l’inverse de la culture. »

Bertrand Vidal explique également être gêné par la vision du monde que la philosophie survivaliste entretient. « Afin de trouver un sens à leur existence, les survivalistes formulent l’hypothèse d’une catastrophe qui viendrait mettre fin à tous les problèmes de la société et dans laquelle ils auraient le beau rôle à jouer d’élite de la fin du monde, explique-t-il. Ils établissent une dichotomie entre les fourmis qui se seront préparées, et les perdants de l’apocalypse, les cigales qui n’ont pas vu la bise venir. » « On verra comment ceux qui ne se préparent pas se transformeront une fois qu’ils n’auront rien à manger », lâche un stagiaire avec un brin de condescendance. Les survivalistes participent ainsi, selon Bertrand Vidal « à un modèle de société qui nous distingue entre ceux qui méritent ou non de survivre ». (...)

Le paradoxe décrit par Bertrand Vidal s’observe dans le cadre de ce stage de survie : tous et toutes décrient la surconsommation et la culture du tout jetable, mais s’échangent avec plaisir des conseils sur les meilleurs déshydrateurs d’aliments à s’offrir sur eBay et Amazon. (...)

Le capitalisme a également profondément imprégné l’imaginaire survivaliste, selon le sociologue. « Les corps hyper musclés mis en avant par certains survivalistes sont les corps idéaux de la société de consommation », observe-t-il. (...)