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Pirates de tous les pays
/Macko Dragan, journaliste
Article mis en ligne le 12 août 2021

Notre bon roi l’a décidé : notre nation comprendra donc son lot officiel de parias mis au ban de toutes les formes de sociabilité quotidienne. Ultime conséquence logique d’une société reposant sur l’invisibilisation des indésirables et des « scélérats » -qu’ils crèvent de leur côté. Que nos dirigeants ne s’étonnent donc pas si la piraterie revient au goût du jour…

Voilà donc quelques jours que je me fais refouler de tous côtés, telle une moufette qui pue dans une boutique Nina Ricci. Adieu terrasses, adieu comptoirs, adieu salles de cinéma, bibliothèques, musées… Me voilà devenu un rebut -je veux dire, plus encore que ça n’était le cas auparavant. En exil à Rennes, puis en Normandie, après un passage par la côte Bretonne, je finis ma lecture de Pirates de tous les pays, de Marcus Rediker, une histoire de l’âge d’or de la piraterie atlantique, de 1716 à 1726. J’y trouve beaucoup d’échos, toutes proportions gardées, avec ce que nous vivons aujourd’hui.

« Quand les pirates créent leur propre drapeau, au début du XVIIIème siècle, ils lui donnent un sens nouveau : ils utiliseront leurs couleurs pour symboliser la solidarité d’un gang de prolétaires hors la loi, fort de plusieurs milliers de membres, auto-organisés de façon audacieuse, en opposition avec les Etats-Nation tout-puissants. En arborant le crâne et les tibias croisés, ils se présentent comme les « scélérats de tous les pays » (Marcus Rediker, Pirates de tous les pays, ed. Libertalia)

En guise de préambule, qu’une chose soit bien claire : on aborde ici un sujet qui déborde de très loin la question de la liberté vaccinale. Je ne suis pas encore vacciné (je comptais le faire à la fin de l’été, ne m’estimant pas prioritaire, et de nombreux problèmes concrets liés à ma précarité matérielle m’ont occupé ces derniers temps), mais je ne pense avoir à m’en justifier auprès d’un flic ou d’un quelconque tenancier de bar. Ceci relève du choix individuel et de la responsabilité collective, dans lequel l’État ni quiconque qui ne soit pas membre du corps médical n’a pas à mettre son vilain nez. Même une fois vacciné, il sera donc hors de question pour moi d’exhiber le moindre « QR code » disgracieux, en enfreinte manifeste de ma dignité d’être libre -si « la vie de pirate est la seule qui vaille d’être vécue », se plier à ce genre d’auto-contrôle policier me parait également incompatible avec la vision que je me fais de l’anarchie, et de la liberté en général.

Oui, il est préférable de se vacciner. Mais avec le « passe sanitaire », et toute la pratique et la symbolique qu’il induit, on touche à une question beaucoup plus grave, relative à comment nous voulons vivre, à quel degré de liberté nous sommes prêts à renoncer au quotidien, et qui nous sommes prêts à laisser sur le bas-côté pour le prix de notre propre petit confort individuel. Parce que oui, toi qui sirotes ton Spritz dégueu bien trop cher (il faudra qu’on m’explique un jour les raisons de l’engouement pour cette boisson immonde) en terrasse après avoir bipé ton QR code : ton cocktail a le goût délicat de la trahison des précaires et des délaissés de la politique sanitaire démente de ce gouvernement, qui incarne décidément le pire de ce que cette triste époque peut produire -et il n’est pas nécessaire d’en passer par une indécente comparaison avec les « dictatures » qu’on voudra pour le souligner. (...)