
Je n’aime pas accuser celles et ceux auxquels je me heurte dans le débat, de « faute morale ». Je préfère, de beaucoup, tenter de faire en sorte que ce débat puisse être un échange d’arguments rationnels. Mais il est des moments où cette expression s’impose et où il faut prendre date face à l’Histoire.
Il me semble très clair que l’exclusion de Rokhaya Diallo du Conseil National du Numérique constitue un événement que les historiens du XXIIe siècle retiendront comme un des indices des tentatives répétées d’ethnicisation de la République française qui, je l’espère, seront mises en échec dans la longue durée.
Personne ne demande à personne de partager les idées de Rokhaya Diallo. Pour ce qui me concerne j’ai des connivences avec elle depuis que nous avons, ensemble, écrit un petit livre Comment parler de laïcité aux enfants (Le baron perché, 2015). Cet ouvrage se situe complètement dans la lignée de la laïcité de 1905 et je défie quiconque de prouver le contraire. Pour autant, nous ne sommes pas, Rokhaya et moi, des clones. Mais justement, ce qui a été intéressant, ce fut la rencontre de deux itinéraires différents. De montrer, à notre manière, le visage de la France, qui n’est pas « une et indivisible » comme le prétendent ceux qui n’ont pas lu la Constitution, mais « indivisible, laïque, démocratique et sociale ».
Pour autant, le fait d’écrire publiquement que je suis scandalisé par cette exclusion ne vient pas seulement de ce compagnonnage. (...)
En croyant atteindre Rokhaya, c’est à la République que l’on fait du mal. Rokhaya Diallo a déjà une reconnaissance internationale, dont sa récente intervention à l’ONU constitue un des indices. Comme lors de ses exclusions antérieures, elle n’en remettra et cela lui donnera encore plus d’énergie pour rebondir.
Je ne suis donc pas inquiet pour elle. Je le suis beaucoup plus pour la République, que certain-e-s ethnicisent un peu plus, de mois en mois. Je sais que ces personnes vont être choquées, si jamais elles lisent ma Note et vont sincèrement rétorquer que je leur intente un faux procès, toujours le même. Elles croient, la plupart de bonne fois, j’en suis sûr, ce qui est en jeu, ce n’est pas la « couleur de la peau » de Rokhaya mais ses propos. Sauf que ces individus sont aveugles et manquent de la plus élémentaire réflexivité sur eux-mêmes. En admettant même qu’ils aient de « bonnes » raisons de ne pas être d’accord , ont-ils réagi de la même manière aux propos d’Elisabeth Badinter sur Marine le Pen et la laïcité ? Ont-ils indiqué que, désormais, elle ne devait plus avoir aucune fonction officieuse ou officielle ? Ces personnes ont-elles demandé la démission d’Alain Finkielkraut de l’Académie française, face aux propos, vraiment très crades, qu’il a tenus, à diverses reprises, et notamment, dans Causeur sur « l’affaire Weinstein » et ses suites ? (...)
e plus en plus, ce national-universalisme franco-français suscite, au mieux l’indifférence à ce qui vient de France, au pire un profond mépris. Quand je donne des cours ou des conférences hors de mon pays, on me demande assez souvent pourquoi la France n’arrive à inclure dans son pseudo pacte « républicain » que des « non blancs béni oui-oui ». C’est aussi abrupt que cela ! Et je me souviens d’une Conférence de l’UNESCO sur les « minorités » ou le représentant français proclamait fièrement : « en France, il n’existe pas de minorités ». Le collègue qui était à côté de moi, un universitaire réputé, a ricané : « Oui, c’est comme en Iran où il n’y a pas d’homosexuel ! » (...)
Si la gauche était… la gauche, elle condamnerait unanimement, haut et fort, ce grave faux-pas du gouvernement. Mais voilà, sa décomposition intellectuelle fait qu’elle laisse, comme seuls interlocuteurs au pouvoir actuel, la droite vraiment de droite et la gauche faussement de gauche. Du coup, le risque est que, vu le rapport de force politique, les avancées sociétales qu’il tente soient suivies d’autant de reculs, et que le « nouveau monde » promis s’avère un décalque de « l’ancien ». De cela, en tant que Républicain, je ne peux me résoudre. La France doit, une bonne fois, conjurer ses démons, sinon elle risque le pire. (...)