
La stratégie du déluge de feu qui s’abat aujourd’hui sur Alep a été écrite par le président russe lors de sa première guerre en tant que commandant en chef.
C’est une ville en ruines, des civils qui fuient, se cachent ou meurent dans les décombres pendant que le monde observe, horrifié. Ce sont des avions russes qui vomissent leurs bombes. Des mortiers et des fusils russes qui dégueulent leurs roquettes et leurs balles. Aujourd’hui, c’est le portrait d’Alep, l’une des cités les plus anciennes au monde. Il n’y a pas si longtemps, c’était celui de Grozny, la capitale de la Tchétchénie.
Quiconque cherche à comprendre la stratégie militaire russe en Syrie serait avisé d’examiner les féroces méthodes employées par Vladimir Poutine durant sa première guerre en tant que commandant en chef, la sanglante seconde guerre de Tchétchénie, qui aura duré de 1999 à 2000 (même si des poches de violence subsistent toujours dans le pays). Ce sont deux guerres très différentes, deux théâtres des opérations où les forces et les moyens employés ne sont pas les mêmes, mais en leur cœur, on retrouve un aspect fondamental de la contre-insurrection poutinienne : la valeur accordée à la brutalité.
« Parfois, l’art consiste à être le plus terrible »
Car après tout, du point de vue russe, ce que la seconde guerre de Tchétchénie a pu démontrer, c’est bien la valeur stratégique de la brutalité, quand on l’applique avec suffisamment de constance et de détermination.
« Toutes les guerres sont terribles ; parfois, l’art consiste à être le plus terrible », me disait l’an dernier un officier russe en haussant les épaules. Il parlait de la bataille de Grozny et de ses milliers de morts, ses dizaines de milliers de sans-abri, cette ville décrite par les Nations Unies comme la plus anéantie de la planète. Le propos de l’officier se voulait aussi funestement spirituel : Grozny veut dire « terrible » en russe. (...)
À l’instar d’Alep, le martyre de Grozny ne s’est pas limité à des frappes aériennes et terrestres conventionnelles, la ville aura connu l’outrage des TOS-1 « Buratino », avec leurs salves de 24 roquettes armées de munitions thermobariques, dont la capacité de destruction n’est surpassée que par les armes nucléaires, dans leur aptitude à raser des quartiers entiers et à réduire des bâtiments en gravats.
L’art de la guerre russe peut aussi se faire dans la subtilité et même la retenue. C’est ce qui s’est passé avec la prise de la Crimée en 2014, quasiment sans aucune goutte de sang versée. Néanmoins, quand l’objectif ne se limite pas à une conquête territoriale, mais exige de convaincre des insurgés –dont la ténacité est l’un des atouts–, que la résistance est à la fois dérisoire et mortelle, le scénario est radicalement différent. Évidemment, Poutine n’est pas le seul chef de guerre, Bachar el-Assad, et même l’Iran, jouent un rôle prépondérant, sauf que tous semblent sur la même longueur d’onde : la paix, selon les termes de Damas, dépend d’une victoire écrasante et de la démonstration d’une puissance de feu implacable. Et on fera d’Alep un malheureux exemple. (...)
Le Kremlin, plutôt que de battre sa coulpe, déroule son manuel d’usage de gestion des accidents, des abus et des atrocités, un processus fignolé en Tchétchénie.
Les accusations, même étayées de preuves, sont démenties. En Tchétchénie, par exemple, le ministre des Affaires étrangères russe, Igor Ivanov, avait déclaré à Madeleine Albright, à l’époque secrétaire d’État, que les rebelles étaient en train d’ouvrir un « second front » dans les médias et que les images d’immeubles et d’hôpitaux détruits étaient destinées à « jeter une ombre sur les actions des autorités fédérales, afin de compliquer les relations de la Russie avec ses partenaires internationaux ».
À l’ONU, ces dernières semaines, l’ambassadeur de Russie, Vitali Tchourkine, a seriné cette rhétorique : qu’importe les preuves d’attaques aériennes et terrestres, elles sont que « tentative de lancer une campagne médiatique visant à discréditer par l’usage de vidéos truquées et anciennes les mesures du gouvernement pour repousser les terroristes ».
Ce qui ne peut être démenti est minimisé, banalisé parce que tout le monde fait la même chose, ou détourné par des contre-arguments absurdes. (...)
L’Occident et la realpolitik
De la même manière, la porte-parole du ministère des Affaires étrangères russe, Maria Zakharova, a déclaré que les accusations américaines concernant Alep servaient à faire diversion après la récente attaque contre des troupes syriennes près de Deir Ezzor. Et, pour faire bonne mesure, que « la Maison-Blanche défend [l’État islamique] ». Ne jamais rien admettre, toujours contre-attaquer.