Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Reporterre
Pour en finir avec le terrorisme, il faut se libérer du pétrole
François Gemenne est chercheur en sciences politiques à Sciences Po et à l’université Versailles-St Quentin. Il est expert des questions de géopolitique de l’environnement.
Article mis en ligne le 24 mars 2016

Reporterre - Quelle est votre réaction au drame qui s’est produit mardi 22 mars à Bruxelles ?

François Gemenne – J’ai une réaction personnelle et une réaction de chercheur. Ma réaction personnelle, et je vais parler ici en tant que Belge, c’est la stupéfaction. Je n’aurai jamais imaginé que mon pays puisse être touché par des attentats. Le fait qu’un pays comme la Belgique, si inoffensif et un peu insignifiant sur la scène internationale, soit l’objet d’un tel attentat me sidère.

Et en tant que chercheur ?

Il faut nous demander pourquoi autant de jeunes qui ne sont pas particulièrement marginalisés, qui font partie plutôt des classes moyennes, essayent de donner un sens à leur mort faute d’avoir trouvé un sens à leur vie. En tant que société, en tant qu’enseignant, il faut se poser la question : où avons-nous échoué ?

Avez-vous des pistes ou des indices pour répondre à cette question ?

J’imagine qu’il doit y avoir aujourd’hui une sorte de vide idéologique qui fait, comme le dit Olivier Roy [politologue spécialiste de l’islam-NDLR], que la cause djiadiste et islamique est embrassée par défaut. Pourquoi cette cause plutôt qu’une autre ? Il faut s’interroger.

Selon Rik Coolsaet, spécialiste du djihadisme à l’université de Gand, la communauté musulmane de Belgique vit « nettement moins bien que le reste de la population » et « cette situation engendre le sentiment d’être rejeté en tant que citoyen et de ne pas avoir d’avenir en Belgique. C’est le principal moteur du djihad. » La réponse à votre question se trouve-t-elle de ce côté ?

Ce que dit Rik Coolsaet est factuellement exact. Mais c’est une erreur de le réduire à la population musulmane. Il y a aussi la population d’origine africaine. C’est globalement la population immigrée qui fait l’objet de discriminations. (...)

ce qui est frappant c’est que des communes comme Molenbeek ne sont pas des ghettos, mais des communes où le vivre ensemble semblait marcher plutôt bien. Il y a comme partout des problèmes de pauvreté et d’intégration, mais pas des zones fermées de communautarisme et de ghettos.

Alors comment expliquer l’adhésion aux valeurs portées par Daech ?

Elle me parait tenir au fait que des jeunes se trouvent sans perspective, sans projet, y compris sans projet idéologique, et prennent fait et cause, passant d’un statut de looser à un statut de chef de guerre. C’est dans leur construction personnelle quelque chose de plus valorisant. (...)

il y a un autre facteur, qui est l’éléphant au milieu de la pièce, et qui relie ces questions à l’environnement : c’est le pétrole. Le Moyen-Orient, qui possède les plus grosses réserves de pétrole au monde, est la région qui est la plus déstabilisée à cause des interventions des puissances occidentales. Il me paraît difficile de ne pas voir aussi dans nos interventions - justifiées ou non - un lien avec les ressources pétrolières gigantesques qui sont contenues dans ce sous-sol. L’Arabie Saoudite, pays qui possède les plus grandes réserves de pétrole au monde, joue un rôle tout à fait ambigu par rapport au terrorisme. Le pétrole reste absolument nécessaire au fonctionnement de nos économies. Donc, le passage à une société post-carbone, à une économie fondée sur des énergies renouvelables signifie aussi le passage à des sources d’énergie infiniment moins conflictuelles, parce que ce n’est pas possible de se les approprier. Aucun pays ne pourra s’approprier le vent ou le soleil. C’est un argument très fort pour sortir de la société du pétrole et du gaz - un argument de sécurité et de paix.