
Chaque année en France, 140 femmes meurent sous les coups de leurs conjoints, et 700 enfants meurent des suites de maltraitance ! Si les violences faites aux femmes arrivent sur le devant de la scène et semblent provoquer l’indignation, force est de reconnaître que les moyens à leur disposition pour obtenir soutien et justice demeurent faibles. C’est le constat fait par Laurence Beneux, journaliste, qui enquête depuis vingt ans sur les victimes de violences. Quant aux enfants, ils sont encore moins bien lotis. Entretien sur une réalité encore occultée.
Laurence Beneux [1] : En France, les statistiques officielles annoncent que chaque année 140 femmes meurent sous les coups de leurs conjoints, et que 700 enfants décèdent des suites de maltraitance. Ce qui fait une femme tous les trois jours, et deux enfants par jour ! Nous ne parlons là que des cas reconnus par la justice... pas des survivants qui vivent un enfer, ni des traumatisés, ni des suicides conséquences de ces traumatismes. Ces chiffres devraient faire hurler tout le monde.
Mais il ne se passe pas grand-chose. Aucun état d’urgence n’a jamais été déclaré. Pour les femmes et les enfants qui osent parler, heureusement la société civile est là, tant les pouvoirs publics sont défaillants. Ce sont essentiellement les associations qui les aident dans leurs démarches médicales ou judiciaires. Si encore ces associations étaient largement subventionnées. Mais ce n’est même pas le cas ! La plupart d’entre elles font un énorme travail de terrain avec des budgets ridicules, entièrement dépendantes du bon vouloir de leurs bénévoles ! (...)
Les victimes ont toujours honte, et se sentent toujours coupables. Qu’elles soient adultes ou enfants, elles cherchent vainement une responsabilité à ce qui leur arrive. La victime se demande « Pourquoi moi ? », et la société se dit « Pourquoi elle ? », avec ce sous-entendu : « Qu’a-t-elle fait pour que cela lui arrive ? », renvoyant la victime à sa culpabilité. Malheureusement, la façon dont elles sont parfois reçues et interrogées dans les commissariats et les tribunaux participe de ce renversement des responsabilités entre les victimes et les agresseurs. On leur demande par exemple pourquoi elles ne sont pas parties, ou pourquoi elles sont retournées vers leur agresseur, oubliant qu’elles sont terrorisées, et révélant une méconnaissance totale du phénomène de l’emprise. J’ai souvenir d’une femme qui a longtemps réfléchi avec ses enfants à la meilleure manière de fuir le foyer où sévissait un père très violent. Avant de renoncer, parce qu’ils étaient convaincus que leur bourreau les retrouverait, et la réaction qu’il aurait eue les terrorisait. (...)
En 2002, son traitement du problème des enfants victimes de violences sexuelles a valu à la France la visite de Juan Miguel Petit, rapporteur spécial sur la vente d’enfants, la prostitution d’enfants et la pornographie impliquant des enfants pour la Commission des droits de l’Homme de l’ONU. Quelles ont été ses conclusions ?
« Après avoir reçu des informations au sujet d’un certain nombre d’enfants français qui seraient victimes de pédophilie et de pornographie », le diplomate décide de se déplacer en France [3]. Dans le rapport qu’il rédige après cette visite, il précise que les sévices sexuels contre des enfants ne sont pas un phénomène plus courant en France que dans les autres pays européens. Il déplore cependant que de « nombreuses personnes ayant une responsabilité dans la protection des droits de l’enfant, en particulier dans le système judiciaire, continuent de nier l’existence et l’ampleur de ce phénomène. »
Il souligne également que « les droits de l’enfant impliqué dans des poursuites judiciaires ne sont parfois pas suffisamment protégés. Il s’ensuit que les enfants concernés risquent souvent de continuer à subir des sévices ». Les personnes soupçonnant et signalant des cas de sévices peuvent se voir accuser de mentir ou de manipuler les enfants. Il relève que des familles sont contraintes de fuir à l’étranger pour éviter que les enfants soient remis à un prédateur présumé, ce qui les exposerait à de nouveaux sévices, et souligne qu’il « est même arrivé que des juges et des avocats au courant des faiblesses du système judiciaire conseillent, officieusement, à certains parents d’agir de la sorte ».
Monsieur Petit demande alors à ce que le système judiciaire se voit allouer des ressources suffisantes, pour que les magistrats soient en mesure de recevoir une formation adéquate en matière de droits de l’enfant et de suivre convenablement les affaires s’y rapportant. Mais la France n’a pas du tout tenu compte de ce rapport. Et depuis, rien n’a changé. C’est toujours la loi du plus fort qui prévaut : on défend d’abord le droit des hommes, puis celui des femmes, et en dernier lieu le droit des enfants.