
Plus discret qu’un Elon Musk sur ses accointances politiques, le patron d’Oracle Larry Ellison est en train de se construire un véritable empire médiatique outre-Atlantique avec l’acquisition du groupe Paramount et ses chaînes de télévision, et peut-être demain de TikTok US et Warner. Une force de frappe qu’il pourrait mettre au service de ses intérêts économiques – le développement de l’IA et de la surveillance en particulier – et de ses amis Donald Trump, Tony Blair et Benjamin Netanyahu.
En France, il reste très peu connu du grand public. Et pourtant, Larry Ellison a brièvement dépassé Elon Musk, début septembre, pour prendre pendant quelques heures le titre d’homme le plus riche de la planète. Le milliardaire de 81 ans est l’un des poids lourds de la tech et n’a jamais caché ses sympathies trumpistes. Grâce à un décret signé par le président américain le 25 septembre dernier, son entreprise Oracle devrait gérer l’algorithme de l’application TikTok pour les utilisateurs aux États-Unis – entre 150 et 170 millions de personnes, environ un tiers de la population du pays. Ce deal qui lui donnerait la main sur une plateforme d’information aussi puissante qu’addictive ne ferait que renforcer le pouvoir d’influence de la famille Ellison, qui vient de racheter Paramount et lorgnerait aujourd’hui sur Warner. Un empire médiatique qu’il pourrait mettre au service de ses intérêts économiques, de son soutien à Israël ou de ses convictions conservatrices.
Sauf pour son style de vie (yachts démesurés, jets privés et voitures de luxe…), Larry Ellison peut sembler plus discret que d’autres milliardaires de la tech comme Jeff Bezos, Mark Zuckerberg, Elon Musk. Mais il en est proche, particulièrement de ce dernier. (...)
S’il affiche moins ostensiblement ses opinions politiques que peuvent le faire Musk et d’autres milliardaires de la tech, le nouveau magnat des médias partage leur fascination pour le transhumanisme, qualifiant la mort de concept « incompréhensible », et leur vision d’une société de surveillance et de contrôle. En 2024, il se réjouissait que dans une société où ils seraient constamment surveillés grâce à l’intelligence artificielle, les gens « adopteront un comportement exemplaire ». Début 2025, au World Government Summit de Dubaï, il appelait à la création d’une base de données unique sur les citoyens, qui rassemblerait l’ensemble des informations utiles à un gouvernement. Une dystopie dans laquelle il imagine certainement que sa société Oracle aurait toute sa place.
Oracle, un géant qui est déjà (presque) partout (...)
En 2023, Oracle a créé une base de données de recrues potentielles pour la future administration républicaine, dans le cadre du « Project 2025 » de la Heritage Foundation (lire notre article). La société est également membre de l’American Legislative Exchange Council, un puissant lobby conservateur qui propose des lois clés en main pour démanteler le droit du travail, s’opposer aux régulations environnementales, privatiser l’éducation, ou contre les droits des personne LGBT.
Blair et Netanyahu dans la galaxie Oracle (...)
D’anciens salariés de l’institut témoignent d’intrusions dans leur travail et de pressions pour promouvoir les produits d’Oracle dans les pays sur lesquels ils travaillaient. Présent dans 45 pays, le think tank de Tony Blair se positionne en faveur du développement massif de l’intelligence artificielle, fond de commerce de son méga-donateur.
La proposition américaine de confier la future gouvernance de Gaza à Tony Blair n’en paraît qu’encore plus inquiétante. Larry Ellison est en effet aussi un soutien indéfectible d’Israël, et un proche de longue date de Benjamin Netanyahu. Ellison aurait même offert en 2021 au premier ministre israélien un siège au conseil d’administration d’Oracle (...)
Après Paramount, TikTok et Warner Bros dans le viseur
Ces positionnements et ces alliances prennent encore plus de relief depuis que Larry Ellison a commencé à se construire un véritable empire dans les médias, la production de contenus et la diffusion. En plus de sa participation à TikTok US – encore en négociation –, il a aidé au rachat de Paramount par son fils, déjà propriétaire de la société de production Skydance. Les deux entreprises ont été fusionnées dans un conglomérat dirigé par David. Présent dans le cinéma, la télévision (MTV, CBS...), l’édition et les médias numériques, ce nouveau groupe pourrait devenir un outil au service de leur idéologie et diverses accointances politiques.
CBS était depuis longtemps dans le collimateur de Donald Trump. Avant sa fusion avec Skydance, Paramount avait déjà accepté de verser 16 millions d’euros au président pour régler un contentieux avec lui, Trump accusant la chaîne d’avoir favorisé Kamala Harris dans une émission. Le « Late Show » de Stephen Colbert, qui se moquait ouvertement du chef de l’État, a aussi été annulé par CBS. Après la fusion, la chaîne a nommé un nouveau médiateur en la personne de Kenneth Weinstein. (...)
Un mois après la fusion Skydance-Paramount, un article du Wall Street Journal suggérait que le groupe pourrait également racheter Warner Bros. Si cette fusion était confirmée, le nouveau groupe pourrait rapprocher les plateformes de streaming HBO et Paramount+ (environ 200 millions d’abonnés à eux deux), aurait la main sur deux des cinq studios majeurs de production cinématographique aux États-Unis et contrôlerait de nombreuses chaînes de télévision, dont CNN – elle aussi détestée par Donald Trump. Une concentration de pouvoir médiatique et culturelle qui n’augure rien de bon pour le débat public et la démocratie américaine.