
Avant de paraître au Seuil en octobre, la première biographie non autorisée sur Éric Zemmour du journaliste Étienne Girard devait être publiée chez Plon, propriété de Vincent Bolloré. La direction a préféré renoncer au projet, pourtant déjà signé et en partie rémunéré, par crainte que cela déplaise au milliardaire.
Pourquoi licencier un humoriste de Canal+, quitte à ternir sa réputation ? Pourquoi purger la rédaction d’iTélé ou d’Europe 1 dans la douleur, quitte à susciter indignation et vague de soutien contre soi ?
Ce qui se passe chez Plon illustre peut-être l’intérêt de ce genre de décisions brutales prises par Vincent Bolloré. Cela montre comment le licenciement d’un homme peut façonner le climat anxiogène de tout un groupe. Et permettre de préserver les protégés du milliardaire, à l’instar du candidat Éric Zemmour. (...)
Retour en mai 2020. Étienne Girard, ancien journaliste à Marianne et actuel rédacteur en chef adjoint à L’Express, s’intéresse à Zemmour. Ce dernier n’a pas encore fait part de ses ambitions présidentielles et n’est qu’un polémiste d’extrême droite diffusé quotidiennement sur CNews. Le journaliste souhaite réaliser une bio non autorisée du personnage et choisit de signer un contrat chez Robert Laffont avec Salomé Viaud pour éditrice le 6 mai 2020. Pour suivre son éditrice mutée chez Plon – tout comme Robert Laffont, la maison appartient au groupe Editis, propriété de Bolloré –, Étienne Girard voit son contrat transféré le 4 novembre de la même année.
Lorsqu’il avait demandé s’il aurait toute la liberté pour enquêter sur lui quitte à évoquer ses liens avec Vincent Bolloré et le rôle joué par ce dernier, on l’avait rassuré chez Plon comme chez Robert Laffont, en affirmant que les maisons étaient totalement libres et qu’Editis n’était pas Canal+. (...)
Mais en novembre 2020, l’affaire Thoen éclate et vient une nouvelle fois confirmer la brutalité de Vincent Bolloré. L’humoriste de Canal+ se fait licencier après avoir participé à un sketch pour railler les obsessions anti-migrants du présentateur phare de CNews, Pascal Praud. Les signataires d’une pétition pour le soutenir sont inquiétés et plusieurs journalistes sont remerciés.
Plon résilie son contrat avec le journaliste
D’après des documents consultés par Mediapart, c’est à cette époque qu’Étienne Girard s’alarme auprès de sa maison d’édition dans la foulée de l’affaire Thoen. À trois reprises, le journaliste souhaite savoir si son enquête sera toujours publiée et avoir confirmation qu’on n’utilisera pas de supposés motifs juridiques pour la censurer. (...)
Le 17 janvier 2021, nouvelle inquiétude d’Étienne Girard. Lors d’un échange avec son éditrice, il expose une nouvelle fois ses doutes. Sans explication, elle lui suggère de rompre son contrat. Le journaliste reçoit alors une lettre de rupture, qu’il accepte.
D’après cette lettre d’accord consultée par Mediapart, la décision est donc prise de renoncer à la parution de ce livre. « Ainsi que nous vous en avons informé, nous renonçons à la publication de cet ouvrage, et par conséquent souhaitons résilier notre contrat », peut-on lire dans ce document consulté par Mediapart. Fait exceptionnel, Plon libère l’auteur de son contrat, lui permet de publier son livre dans n’importe quelle autre maison et lui laisse conserver l’avance déjà versée. (...)
"Plon m’a en effet libéré de mon contrat. Mais on ne m’a donné aucune raison", explique le journaliste. « Je ne sais pas si c’est parce qu’il n’est pas possible d’écrire sur Zemmour dans une maison appartenant à Bolloré, mais vu le contexte, on peut clairement se demander si ça avait un lien, ajoute-t-il. Cette décision m’a finalement soulagé ». (...)
Une source interne confirme : « On ne peut pas parler de censure mais il est vrai que défendre ce projet était devenu encombrant pour la nouvelle direction. »
Au retour de son congé maternité, Salomé Viaud fait une demande de rupture conventionnelle. Était-ce en lien avec cette affaire ? Sollicitée par Mediapart, elle n’a pas souhaité répondre précisant être « tenue à la confidentialité ». Elle confirme toutefois avoir décidé de rejoindre le Seuil des semaines après le journaliste : « Au moment où Étienne décide de rejoindre le Seuil, il n’est pas question que j’y aille. J’ai quitté Plon le 19 juillet 2021 et rejoint le Seuil en septembre. » (...)
Une fois libéré de Plon, et l’enquête déjà bien avancée, Étienne Girard, est approché par d’autres maisons d’édition. Là encore, la menace Bolloré plane sur son projet.
D’après nos informations, Grasset souhaite le faire signer, mais Étienne Girard s’inquiète une nouvelle fois. Pourra-t-il la publier alors que le milliardaire lorgne le groupe Lagardère, propriété de Hachette Éditions dont dépend Grasset ? (...)
Sollicité pour savoir pourquoi Étienne Girard avait renoncé à publier chez Grasset, le journaliste confirme la teneur de ces échanges et dit avoir « préféré signer au Seuil ». Une autre source interne de la maison n’a en tout cas pas trop de doute sur le motif : « La mainmise éventuelle de Bolloré dans le futur est, sinon la raison, au moins l’une des raisons qui l’ont fait choisir le Seuil. » Et d’ajouter : « On a en effet une parfaite illustration de ce que peut susciter la peur des représailles de Bolloré dans le milieu de l’édition. »
Le parcours chaotique de cette enquête se termine donc au Seuil. L’auteur est rassuré puisque le milliardaire n’a pas de lien avec la maison d’édition (...)
Lors d’une enquête récente sur la mainmise de Bolloré dans l’édition publiée par Politis, des salariés du groupe Editis se voulaient rassurants. « Si un bon livre sur l’empire de Bolloré est proposé, il sera publié », répondait La Découverte, appartenant également au milliardaire. L’expérience chez Plon prouve que la peur a déjà gagné la maison. Une source interne résume : « On voit bien à quoi ça sert les décisions brutales de Bolloré. D’apparence isolées, elles permettent de distiller la peur et in fine, d’empêcher un auteur d’être publié. »