
« Youth for climate » est né grâce à Internet, quand le CCFD-Terre solidaire, fondé dans les années 1960, a dû apprendre à l’utiliser. Aujourd’hui, un métissage entre les pratiques est nécessaire, pour décupler leur force de frappe. Entretien croisé.
Youth for Climate n’est pas une organisation mais une plateforme numérique. Créée par des jeunes, elle recense les actions lancées localement par des lycéens et des étudiants et permet de rassembler hors du cadre des grosses organisations traditionnelles.
Suite à l’appel de Greta Thunberg (la Suédoise de 16 ans, figure de la lutte pour le climat) et à la mobilisation de 70 000 jeunes en Belgique, nous avons décidé, avec des amis parisiens, de nous joindre au mouvement. Dès la première assemblée générale sur le campus de Jussieu, en février, l’amphi est plein à craquer ! Grâce à la communication sur Facebook, le 15 février, nous sommes 1 200 en grève devant le ministère de la Transition écologique et solidaire ! Certains d’entre nous n’avaient encore jamais milité et ne connaissaient pas tous les codes… (...)
Les réseaux sociaux se révèlent bien comme la voie la plus simple pour mobiliser en nombre aujourd’hui. Après avoir commencé sur Facebook, nous nous sommes vite rendu compte que les collégiens et les lycéens utilisaient beaucoup plus Instagram. Aussi avons-nous décidé de nous appuyer sur les deux (...)
Les organisations non gouvernementales (ONG) sont bien incapables de mettre autant de gens dans la rue, alors qu’elles passent des mois à monter des campagnes, à réfléchir à leurs contenus, à la stratégie la plus adaptée… Ce décalage nous interpelle sur notre capacité à réagir spontanément, à sortir des carcans institutionnels pour mobiliser les citoyens. C’est une petite révolution culturelle et organisationnelle que nous avons à mener pour être plus inventifs et créatifs ! (...)
Après les premières manifestations pour le climat, les organisateurs se sont tournés vers les ONG traditionnelles pour imaginer une suite. En parallèle, nous-mêmes tentions de mobiliser nos réseaux pour faire descendre du monde dans la rue. Tout un métissage est à chercher entre ces nouveaux militants, qui ont une capacité à mobiliser largement, et notre expérience pour structurer une action dans la durée. Car malgré la force collective des nouveaux mouvements, il me semble que l’émergence de vraies revendications capables de déplacer les lignes politiques reste encore incertaine. Une organisation peut mener une expertise, donner des moyens plus facilement qu’un mouvement spontané.
Il faut également se demander pourquoi les jeunes, en recherche d’alternatives, ne se retrouvent pas ou peu dans les propositions traditionnelles. Grâce aux nouveaux mouvements, ils se mobilisent. C’est le principal ! Internet permet de toucher des publics différents, c’est évident. Mais je ne saurais pas dire si, en tant qu’ONG, notre public s’élargit réellement ou pas. (...)
L. Lazare – Pour le moment, nous défendons une autogestion de la mobilisation et l’absence d’un cadre établi. Ça nous permet de garder un certain pouvoir sur nos actions, hors de la lourdeur et du calendrier plus contraignant des structures traditionnelles. Nous ne souhaitons pas rejoindre un regroupement inter-organisations, mais cela ne nous empêche pas de collaborer avec les grosses ONG ou de demander des coups de pouce à des mouvements comme Alternatiba. (...)
L’équilibre entre les médias et les réseaux sociaux est très délicat. En Belgique, alors que les deux jeunes à l’origine de la première vidéo Facebook attiraient tous les projecteurs, le nombre de personnes dans la rue est passé de 70 000 à 500 : les jeunes mobilisés se sentaient dépossédés de leur mouvement. En Allemagne aussi, les journalistes essaient régulièrement d’identifier les figures du mouvement pour les mettre en avant. C’est ce que nous voulons absolument éviter en France. (...)
Aujourd’hui, nous avons surtout besoin de temps pour construire une réflexion et nous sommes de plus en plus conscients que nous ne pouvons être présents en ligne en permanence. (...)
L. Lazare – Comment se passer de Facebook, Twitter et Instagram ? Nous restons tout de même attentifs aux outils que nous utilisons en limitant le nombre de mails et en nous appuyant sur les possibilités offertes par les logiciels libres comme Framapad ou Framadate par exemple3. À terme, nous aimerions créer notre propre forum. (...)
Internet ne supprimera pas cette nécessité du lien social pour construire des alternatives dans les territoires. Mais c’est un outil à maîtriser pour développer la critique, faciliter la mobilisation, partager des alternatives : il reste un formidable levier pour montrer que les citoyens sont là, à condition d’être bien en synergie avec d’autres formes d’engagement. (...)