
Seize personnalités intellectuelles, littéraires et artistiques prennent la défense de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes dans “Éloge des mauvaises herbes – Ce que nous devons à la ZAD”. En filigrane, ils répondent à cette question : pourquoi l’Etat a-t-il peur du bocage landais ?
Alors que les nuées de gaz lacrymogène qui ont étouffé la “zone à défendre” (ZAD) de Notre-Dame-des-Landes au printemps dernier se sont à peine dissipées, une question taraude : qu’y avait-il de si dangereux dans le bocage landais pour justifier un tel déploiement de violence ? Après avoir décidé d’abandonner le projet d’aéroport, concédant une victoire éclatante aux opposants qui luttaient depuis des années, le gouvernement a en effet répliqué avec une force visiblement proportionnelle à son amertume : 2 500 gendarmes mobiles harnachés, des milliers de grenades (dont le modèle GLI F4, qui a coûté la main d’un zadiste, et que l’Etat a décidé de ne plus commander), des hélicoptères et autres blindés, pour déloger 300 occupants de la ZAD.
En ce sens, comme le formule l’écrivaine Nathalie Quintane (auteure d’Un œil en moins), “l’Etat reconnaît lui-même, et à quelle hauteur, le caractère historique de la ZAD, la nécessité de l’éradiquer et qu’il n’en reste rien”. Car c’est bien là le sens de cette intervention policière, à grand renfort de pelleteuses : il fallait effacer – physiquement et mentalement – cet îlot de résistance. Faire oublier le camouflet subi. (...)
Désobéissance
Cette affaire rappelle 1980 et la destruction en trois jours par des bulldozers du centre universitaire de Vincennes, devenu le foyer du gauchisme après 1968, de toutes les utopies qu’il portait en lui. Il n’en reste aujourd’hui qu’une clairière vide et silencieuse. Pour empêcher un anéantissement similaire en 2018, seize personnalités intellectuelles, artistiques et littéraires prennent la plume dans Eloge des mauvaises herbes, ouvrage coordonné par la journaliste à Mediapart spécialiste des questions environnementales Jade Lindgaard, qui sort le 13 juin.
. On trouve parmi eux l’anthropologue anarchiste David Graeber, l’écrivaine Virginie Despentes, l’activiste et habitant de la ZAD John Jordan, l’activiste écologiste indienne Vandana Shiva, ou encore l’auteur de science fiction Alain Damasio. Leurs mots, écrits dans l’urgence de l’évacuation à marche forcée de la zone, offrent à leur modeste échelle un cocon mental protecteur à la ZAD et à ses 300 habitants. Certes, la plupart de ces auteurs ne parlent pas (ou peu) depuis leur expérience du terrain, mais leur solidarité avec les zadistes n’en vaut pas moins pour sa portée symbolique. (...)
Voilà donc pourquoi la ZAD, ou les ZAD, tant qu’on y est, sont si dangereuses. Sur une surface de 16 km carrés, d’un seul tenant, ont coagulé tous les contestataires, rendant possibles des “formes de vie non marchandes et semi-marchandes”, selon la sociologue du travail Geneviève Pruvost, qui a participé depuis 2012 à des chantiers de cabanes sur la ZAD. “Il y a de quoi en effet affoler les producteurs de parpaings, de plastique, de produits phytosanitaires de salade en sachet et la cohorte d’investisseurs, de décideurs et d’experts qui ne voient pas d’autre organisation sociale possible que celle d’une division hi-tech du travail, avec son arsenal de normes, d’habilitations légales, sciemment inadaptées à l’espace-temps des actions humaines artisanales et locales”, assène-t-elle (...)