
La guerre menée par la Russie en Ukraine est une abomination. Mais comment expliquer cette résistance si importante de tout un pays qui s’oppose et même est en train de gagner dans la douleur et les souffrances de la population ? Depuis le début de cette guerre, je lis avec attention ce qu’écrit Mychailo Wynnyckyj. Il est professeur agrégé du département de sociologie de l’école de commerce Kyiv-Mohyla et directeur de l’école doctorale, de l’Académie nationale de l’Université de Kyiv-Mohyla (KIEV). Son regard et analyse de sociologue est intéressant, d’où ma proposition aujourd’hui de vous faire partager ce qu’il écrit. Son texte a été publié par le journal en ligne EuroMaidan Press le 24 mars dernier.
« Ce que nous vivons en Ukraine est un cas d’école de changement social massif et très brutal. En plus de la destruction insondable et de la souffrance humaine, il se passe ici quelque chose d’important du point de vue des sciences sociales, qui (je le suggère) est révélateur non seulement du phénomène local, mais de notre compréhension de la société humaine plus largement. (...)
Premièrement, une petite armée en bat une plus grande – de manière inattendue et sans ambiguïté. L’armée russe continue d’infliger des dégâts incompréhensibles aux villes ukrainiennes, mais l’avancée terrestre de la force supposée la plus puissante a été (presque) complètement stoppée.
Deuxièmement, une nation qui était (jusqu’à il y a un mois) soi-disant profondément divisée selon des lignes ethnolinguistiques et régionales s’est soudainement unie dans une défense apparemment monolithique contre un envahisseur dont l’identité (langue, histoire) est évidemment proche pour une grande partie des citoyens de cette nation. (...)
Ce degré et cette profondeur de mobilisation populaire ne sont pas « normaux ».
Troisièmement, en plus des conflits civils extrêmes causés par les roquettes et les bombes russes (malheureusement – comparables aux pertes humaines d’autres guerres), les morts au combat subies par l’envahisseur sont sans précédent. (...)
Pourquoi cette guerre est-elle si meurtrière ?
Il est clair que la technologie de la mort s’est considérablement « améliorée » au cours de la dernière décennie (...)
Mais peut-être que d’autres facteurs interviennent également ? Deux dynamiques supplémentaires (en plus de la technologie) peuvent être nommées :
Premièrement, les défenseurs de l’Ukraine sont très motivés, car ils défendent leur territoire contre un envahisseur manifestement malveillant. Leur colère et leur objectif sont amplifiés par des images de Marioupol, Kharkiv, Sumy, Chernihiv et, plus récemment, de Kiev. L‘idéalisme (la « communauté imaginée » de l’Ukraine) et son identité sont probablement des facteurs explicatifs du succès sur le champ de bataille. Le fait que cet envahisseur soit historiquement et linguistiquement « proche » sert à intensifier la colère des Ukrainiens : la mort et la destruction causées par la Russie doivent être vengées par principe.
Deuxièmement, outre la motivation immatérielle, il y a l’aspect structurel/organisationnel de la défense de l’Ukraine. Les forces armées ukrainiennes alignent de petites équipes de 15 à 20 hommes contre de grandes unités mécanisées de l’armée russe. Les petites unités peuvent s’approcher de l’ennemi sans être détectées, causant des ravages aux grandes colonnes d’invasion de chars, de véhicules blindés, de systèmes de lance-roquettes multiples, etc. Ceux-ci sont régulièrement détruits par de petites unités autonomes dont la tactique semble plus proche de la chasse que de la force terrestre traditionnelle. Les mêmes structures autonomes « plates » caractérisent les réseaux logistiques et les groupes de soutien de volontaires qui permettent l’efficacité des forces ukrainiennes de première ligne.
(...)
Comment expliquer ce qui se passe en s’appuyant sur les théories des grands sociologues ?
En tant que spécialiste des sciences sociales, on veut toujours établir le « moteur principal » : quel facteur est le fondement ? Lequel est le plus important ? La réponse à cette question reflétera votre préférence pour l’une des trois traditions de la théorie sociale qu’a regroupé Mychailo Wynnyckyj selon leurs auteurs principaux : Marx, Weber, Durkheim (et Bourdieu).
Selon Marx, l’Ukraine gagne cette guerre parce que les progrès technologiques (scientifiques) ont permis le développement d’armes qui peuvent être utilisées efficacement par de petites unités (...)
Le point de vue opposé est celui de Weber : les Ukrainiens ont une identité profondément enracinée qui a été blessée par les Russes. (...)
Une troisième analyse s’appuie sur les sociologues Français
« Une approche beaucoup moins populaire (dans le monde anglo-saxon) pour comprendre le succès des Ukrainiens suivrait les sociologues français Émile Durkheim et/ou Pierre Bourdieu. Selon cette approche, nous commençons par analyser comment les Ukrainiens assurent la solidarité (c’est-à-dire comment ils organisent/structurent leurs activités). Réponse : en petits groupes hétérarchiques. On s’intéresse ensuite aux idées et pratiques dominantes (« habitus ») de ces groupes. Ensemble, ils définissent le système structurel-culturel (ou « champ »). L’efficacité de la technologie dépend de son adéquation avec le terrain. Dans le cas des Ukrainiens : javelots, NLAW, Stuhna et autres armes ont parfaitement correspondu à leur « habitus ».” et se sont traduits par un succès sans précédent sur le champ de bataille. Ainsi, une explication sociologique « française » dirait : les structures se confondent avec les idées pour produire des pratiques prédominantes ; les solutions technologiques sont montées sur cette base plus/moins efficacement. (...)
Une troisième analyse s’appuie sur les sociologues Français
« Une approche beaucoup moins populaire (dans le monde anglo-saxon) pour comprendre le succès des Ukrainiens suivrait les sociologues français Émile Durkheim et/ou Pierre Bourdieu. Selon cette approche, nous commençons par analyser comment les Ukrainiens assurent la solidarité (c’est-à-dire comment ils organisent/structurent leurs activités). Réponse : en petits groupes hétérarchiques. On s’intéresse ensuite aux idées et pratiques dominantes (« habitus ») de ces groupes. Ensemble, ils définissent le système structurel-culturel (ou « champ »). L’efficacité de la technologie dépend de son adéquation avec le terrain. Dans le cas des Ukrainiens : javelots, NLAW, Stuhna et autres armes ont parfaitement correspondu à leur « habitus ».” et se sont traduits par un succès sans précédent sur le champ de bataille. Ainsi, une explication sociologique « française » dirait : les structures se confondent avec les idées pour produire des pratiques prédominantes ; les solutions technologiques sont montées sur cette base plus/moins efficacement. (...)
En conclusion, le but de l’auteur est de concentrer la réflexion des non-spécialistes (...)
En attendant, conclut-il : « Слава Україні ! » [Gloire à l’Ukraine !]