(...) Cette question de l’efficacité de la politique d’éloignements des étrangers en situation irrégulière revient fréquemment dans le débat, et suscite beaucoup d’incompréhension.
Il faut dire que les chiffres bruts sont faibles.
La procédure de droit commun pour l’éloignement des étrangers en situation irrégulière est l’OQTF, l’obligation de quitter le territoire national, prise par la préfecture. Elle oblige à quitter la France dans un délai de 30 jours ou, plus rarement, sans délai. Le nombre d’OQTF prises chaque années est stable, entre 75 000 et 90 000. (...)
Mais cela ne veut donc pas dire que ces 75 000 à 90 000 personnes vont être éloignées du territoire. On en est même très loin.
Voici les chiffres des éloignements (il importe de regarder surtout les retours forcés, et non les retours aidés ou spontanés) (...)
Dans la plupart des cas, l’OQTF est prise par la préfecture lors du refus de renouvellement d’un titre de séjour (elle peut l’être aussi après un controle). Elle est le plus souvent assortie d’un délai de 30 jours pour quitter volontairement le territoire.
L’OQTF, valable pendant un an, peut être l’objet d’un recours devant le tribunal administratif. Ce recours est suspensif. En théorie, le tribunal doit statuer dans les trois mois, mais le délai avant jugement est parfois supérieur. Dans certains cas, le tribunal annule l’OQTF, pour des raisons de forme ou des raisons de fond. « A Lyon, on doit être entre 10 et 15% de cas où l’OQTF est annulée », témoigne Alexandre Gillioen, avocat spécialisé du droit des étranger à Lyon. Dans la majorité des cas, l’OQTF est maintenue, ce qui ne veut pas dire qu’elle sera nécessairement exécutée.
Se pose ainsi la questions de moyens humains. « Dans certaines préfectures, des policiers pourront aller chercher un étranger en situation irrégulière, affirme l’avocat lyonnais. Dans les grandes villes, ce sera beaucoup plus rare ». Le temps peut aussi jouer en faveur de l’étranger en situation irrégulière : sa situation personnelle aura pu évoluer durant la procédure (enfant, mariage, etc.), nécessitant un réexamen et rendant impossible son éloignement.
Certaines OQTF sont, elles, sans délai de départ volontaire. L’étranger est alors placé dans un centre de rétention administrative (s’il y a de la place, ce qui n’est pas toujours le cas), dans l’attente de son éloignement du territoire. C’est à partir de ces centres que sont réalisés la très grande majorité (trois quarts) des éloignements forcés du territoire national. On en compte 24, ayant une capacité totale de 1900 places. (...)
Chaque année, la Cimade, présente (comme cinq autres associations) dans les centres de rétention, compile les statistiques de la rétention. On y trouve des données détaillées sur le devenir des étrangers qui y sont placés.
Voilà les chiffres pour 2016, en métropole. (...)
On le voit, une petite majorité des personnes sont libérées (11486 sur 22860). Là encore, pour différentes raisons. Il s’agit, dans un tiers des cas, de libération par les juges (juge administratif ou le plus souvent juges judiciaires). L’explication tient à des problèmes de fond ou de procédures. « Un des problèmes en France est que la politique du chiffre, visant un maximum d’OQTF pousse à la précipitation, à des approximations. L’abattage induit le cafouillage. Et si le juge fait son boulot, il intervient », explique Norbert Clément, avocat à Roubaix. (...)
Dans d’autres cas, c’est l’absence de laisser passer consulaire par le pays tiers dont est issu la personne concernée qui explique l’échec de l’éloignement. En l’absence de passeport, ce laisser passer consulaire est obligatoire. Or, beaucoup de pays tiers rechignent, ne répondent pas, ou hors délai, ce qui empêche les renvois. C’est pour cette raison que le gouvernement souhaite allonger à 90 jours la durée maximum de la rétention, contre 45 actuellement. Une initiative condamnée par les associations.
« Les expulsions sont réalisées durant les premiers jours de la rétention et beaucoup plus rarement après le 20e jour. Allonger la durée de rétention a donc conduit à faire subir une privation de liberté bien trop longue au regard de l’efficacité recherchée par les pouvoirs publics », lit-on dans le dernier rapport de la Cimade, statistiques à l’appui. (...)