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Pourquoi les réfugiés de guerre doivent-ils encore risquer leurs vies pour demander l’asile en Europe ?
Article mis en ligne le 18 septembre 2015

Se noyer en Méditerranée, se faire dépouiller par des passeurs sans scrupules, être enfermés dans des camps, se faire molester par des policiers, marcher de longues heures avec bagages et enfants : tels sont les risques encourus par les réfugiés qui cherchent à demander l’asile en Europe. Mais au fait, pourquoi sont-ils obligés de voyager dans ces conditions alors que beaucoup auraient les moyens de prendre l’avion ? A cause du système kafkaïen de Dublin, qui réglemente les demandes d’asile en Europe. Et du refus des Etats européens de leur accorder des visas dans les ambassades. Pourtant, des alternatives existent, plus sûres et moins coûteuses pour tout le monde, si la volonté politique est au rendez-vous.

Partout, les frontières se ferment en Europe. Après avoir laissé entrer sur son territoire des dizaines de milliers de réfugiés coincés en Hongrie, l’Allemagne a fait marche arrière et rétabli ses contrôles aux frontières. L’Autriche a suivi, puis la Slovaquie. La France bloque depuis des mois l’entrée de réfugiés passés par l’Italie. La Hongrie a érigé une clôture sur sa frontière avec la Serbie et vient d’adopter une loi qui criminalise l’entrée “illégale” sur son territoire. Des dizaines de milliers de réfugiés se retrouvent encore coincés dans des camps de transit, dans des conditions catastrophiques, en Hongrie, en Serbie, ou en Grèce, dépassée par les arrivées sur son territoire [1].

Plus de quatre millions de Syriens ont fui leur pays depuis le début de la guerre en 2011. Parmi eux, près de deux millions se trouvent en Turquie, plus d’un million au Liban, plus de 600 000 en Jordanie [2]. Pendant ce temps, les pays européens rétablissent les contrôles aux frontières. Et se battent sur le nombre de réfugiés qu’ils pourraient peut-être accueillir parmi ceux qui sont déjà arrivés en Grèce, en Italie ou en Hongrie, souvent après avoir traversé la Méditerranée sur des bateaux de fortune (...)

Le kafkaïen système de Dublin

N’y a t-il pas d’alternatives aux milliers de morts en mer et à l’enrichissement de passeurs sans scrupules ? Pourquoi les réfugiés de guerre sont-ils traités comme des criminels ? Pourquoi se retrouvent-ils coincés en Grèce alors qu’ils ne veulent pas y rester, et que le pays – qui a subi des années d’austérité imposée par ses voisins – n’a pas les moyens de les prendre en charge dignement ? Pourquoi la Hongrie recourt-elle à des méthodes de plus en plus brutales pour empêcher les réfugiés de passer sur son territoire ? La réponse tient pour beaucoup à une expression : “Le système de Dublin”.

L’Union européenne a adopté sous ce nom un règlement [4] qui oblige les demandeurs d’asile à déposer leur demande dans le premier pays européen sur lequel ils ont posé le pied. Or, il s’agit le plus souvent des États qui se trouvent aux frontières de l’UE : Grèce, Italie et Hongrie en tête. Ce système contraint ces États à enregistrer les demandeurs et à les prendre en charge. Et à ne surtout pas les laisser partir vers un autre pays de l’UE. Si c’est le cas, l’Allemagne ou la France ont l’obligation juridique d’expulser un réfugié vers la Hongrie ou la Grèce si c’est là qu’il a été enregistré à son arrivée en Europe.

Selon ses détracteurs, le règlement de Dublin est en grande partie responsable du chaos actuel. (...)

« Ils doivent pouvoir aller là où ils ont des attaches »

De facto, le règlement de Dublin n’est pas toujours respecté au vu des conditions d’accueil qui règnent dans les pays d’arrivée. L’Allemagne n’expulse plus de demandeurs d’asile vers la Grèce, quand bien même ils y auraient été enregistrés à leur arrivée en Europe. Un document de l’administration allemande, révélé fin août, donne à penser que la consigne circulait outre-Rhin de suspendre les règles de Dublin pour les demandeurs d’asile syriens. La Cour de justice de l’Union européenne avait elle-même remis en question le système en cas de « risque réel » pour le réfugié « d’être soumis à des traitements inhumains ou dégradants » [5].

« Le système de Dublin a échoué. Nous le voyons bien aujourd’hui, juge aussi la député européenne verte Ska Keller. Nous demandons une réforme de fond, avec une répartition justes des demandeurs d’asile entre les États. Et en prenant en compte la volonté des réfugiés. Ils doivent pouvoir aller là où ils ont des attaches ou dans le pays dont ils maîtrisent la langue. » Le modèle de réforme envisagé par les Verts européens et plusieurs associations donnerait le droit aux demandeurs d’asile de s’enregistrer là où ils le souhaitent. Tout en mettant en place un système de compensations financières entre les États [6].

Ouvrir des voies légales et sûres

Pourquoi les Syriens, une fois arrivés en Turquie, au Liban ou en Jordanie, ne demandent-ils pas tout simplement un visa auprès des ambassades consulats européens, plutôt que d’entreprendre un périlleux et coûteux voyage ? Avec un visa, ils pourraient se rendre en Europe en avion. Et demander l’asile une fois sur place sans devoir se risquer dans des embarcations de fortunes ni confier leur vie à des criminels potentiels. (...)

Quelques pays ont bien en mis place des programmes pour faire venir légalement des Syriens ou des minorités persécutées de la région depuis le début de la guerre. Mais il ne s’agit à chaque fois que de quelques milliers, voire de quelques centaines de personnes. La France a décidé l’année dernière d’accueillir sur deux ans 1000 personnes venues de Syrie ou des camps de réfugiés des pays voisins. Le pays a aussi distribué depuis 2012, 1880 visas d’asile à des Syriens [8]. Des visas qui leur permettent de se rendre légalement en France pour y déposer une demande d’asile. Pour comparaison, le programme d’accueil légal de la Suède a fait venir 2700 Syriens. Le Brésil a de son côté déjà distribué plus de 7000 visas humanitaires à des réfugiés de Syrie. (...)

Bien plus que d’ouvrir des chemins sûrs pour les populations en danger, l’Union a renforcé ses frontières, avec toujours plus de moyens militaires. L’agence européenne de protection des frontières Frontex, créée en 2004, dispose d’un budget de 114 millions d’euros pour 2015. C’est dix fois plus que celui du Bureau européen d’appui en matière d’asile [11], une structure chargée depuis 2010 de renforcer les échanges entre États européens sur l’accueil des réfugiés.

Une toute nouvelle mission militaire européenne est active depuis quelques mois dans les eaux méditerranéennes. Son cahier des charges : traquer les bateaux de migrants et leurs passeurs. C’est l’opération Eunavfor Med, en cours depuis juin [12]. Elle compte déjà quatre navires militaire, cinq avions, un hélicoptère. Aucun n’est destiné à aider les réfugiés à traverser la Méditerranée.