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Pourquoi manifester contre Zemmour
/ Kevin Vacher Sociologue
Article mis en ligne le 28 novembre 2021
dernière modification le 27 novembre 2021

Longtemps, manifester contre la venue des fascistes électoraux dans nos villes a été une tradition des mouvements sociaux. Au fil du temps, de la « dédiabolisation », des scores du FN/RN et de l’épuisement, ce réflexe semblait se perdre un peu. L’arrivée du monstre Zemmour sur la scène électorale semble réveiller nos ardeurs, et les mêmes débats qu’avant.

(...) l’argument-choc : nous, militant·es contre l’extrême-droite, ferions sa campagne en s’y opposant. Souvent, c’est un argument de mauvaise foi, mais parfois c’est aussi une interrogation légitime. Sur ce sujet, pour une fois, un sondage IFOP du 15 novembre nous apporte une donnée intéressante : « Eric Zemmour apparait aux yeux des Français nettement plus inquiétant que [Marine Le Pen] : 49% pensent qu’Eric Zemmour est inquiétant contre 16% qui associent davantage ce trait d’image à Marine Le Pen. ». (...)

Voilà une bonne et une mauvaise nouvelle donc : la Le Pen semble donc bel et bien « dédiabolisée » tandis que le sosie de Mr Burns continue d’inquiéter. S’il n’a pas eu le temps de mener à bien son travail d’image, c’est également un effet des attaques frontales qui lui sont opposées, manifestations comprises. S’opposer clairement à ces gens sert donc à continuer à les marquer au fer rouge comme des personnages conflictuels, qui n’apporteront aucune sérénité au pays. Et cela nous dit qu’il serait peut-être également temps de reprendre le travail un peu plus fortement face au RN.

« Ok, mais vous lui donnez encore une fois du temps de parole »

Alors, vraiment, à ce sujet, je crois que les médias et le groupe Bolloré s’en chargent bien tous seuls. Entre les émissions de Cnews, Europe 1, de Pascal Praud ou la nouvelle émission d’Hanouna, le garçon n’a pas trop de soucis à se faire. Par contre, est-ce que vous entendez souvent des voix alternatives et claires, opposées à son sexisme, son racisme, son libéralisme dans les médias ? Assez peu en vrai, surtout depuis que certains candidats de « gauche » commencent à reprendre ses idées. Manifester, comme toujours, c’est donc aussi un moyen de se créer de l’espace et du temps de parole pour s’opposer à lui et à ses idées.

« Vous manifestez par plaisir et vos actions sont dangereuses »

Alors, non, vraiment, j’avais autre chose à faire de mon vendredi soir moi. Ce qu’il faut comprendre ici c’est que personne, parmi les initiateurs, initiatrices ou participant·es à ces manifestations, n’a le goût de la violence. Pour l’avoir expérimenté moi-même pendant mon adolescence, les coups des fascistes font…mal, tout simplement. Je fréquente beaucoup des gens qui s’organisent actuellement contre Zemmour et Le Pen et clairement, ils et elles sont parmi les personnes les plus structuré·es pour préserver le calme de nos cortèges. Bien évidemment, c’est sans compter le camp d’en face et la police, mais ça, nous ne pouvons que tenter de s’en préserver. (...)

Puis, autour de nous, voir que nous sommes des milliers à nous réaffirmer solidaires les un·es des autres, c’est aussi une façon de nous adresser un message dans la continuité de celui des marches #MeToo ou Adama : « nous ne sommes plus seul·es ». C’est ce qu’a produit le mouvement des sardines en Italie face à Salvini : une force rassembleuse, rassurante pour les premier·es concerné·es. En affirmant notre force, ce sont donc nos idées et nos vies que nous pourrions mettre au centre du débat politique et médiatique, si nous sommes assez nombreux et nombreuses.

« Vous donnez de la visibilité à ses idées, la droite va s’en servir »

Ah, donc venons-en aux idées en elles-mêmes. Je pense que c’est là l’une des questions les plus simples à dénouer. Il n’y a qu’à voir la politique de Macron ou la campagne interne à LR : les cinq candidat·es en lice rivalise d’immondices pour convaincre leurs militant·es et valident jour après jour les thèses de l’extrême-droite (...)

Cette « digue » qui semble définitivement avoir sauté, il faut donc la reconstruire, coûte que coûte. (...)

L’exemple de la prise du 7ème secteur de Marseille par le FN de Stéphane Ravier l’avait illustré : les bons scores relatifs du FN ne sont pas tant liés à une « conversion » des anciens communistes qu’à une double dynamique : d’une part l’abstention massive des classes populaires et leur désertion de la gauche (ou plutôt, la désertion de la gauche des classes populaires), d’autre part la « porosité qui subsiste entre l’électorat du FN et celui de l’UMP ». (...)

En effet, il y a toujours eu des classes populaires (et pas seulement) de droite, et c’est avant tout ces électeurs et électrices qui « basculent » à l’extrême-droite. C’est l’une des raisons qui ont permis à Marion Maréchal Le Pen ou à Éric Zemmour de théoriser leur « union des droites » : il s’agit pour eux de franchir un cap en allant cherchant directement ces votes, et les segments de la droite partisane qui lui correspondent.

Cette explication est l’une parmi d’autres qui éclairent le vote d’extrême-droite, et qui semble surtout constituer, valider, le socle stratégique de Zemmour. Cela n’épuise évidemment pas que certain·es électeurs et électrices de gauche commencent à être convaincu·es par leurs thèses, ne le nions pas. Mais justement, c’est en construisant un front large d’idées qui leurs sont clairement opposées que l’on réussira à remobiliser et convaincre cet électorat. L’exemple du Front Populaire en 1936 doit nous inspirer : c’est lorsque les ligues fascistes ont commencé à prendre de la force et descendre dans la rue que les ouvrier·es ont réclamé l’unité des forces progressistes, permettant à une coalition unique de voir le jour et de réaffirmer avec force ses idées. Alors, descendons dans la rue et faisons pression sur la gauche, ou ce qu’il en reste, pour qu’elle se réaffirme. (...)