
(...) le vrai journalisme défie les puissants. Et c’est là la différence essentielle entre le travail vital de WikiLeaks et le rôle de propagande joué par les médias officiels comme la BBC chaque jour sur pratiquement tous les sujets.
(...) Le 6 septembre, le Mail on Sunday a publié deux éditoriaux, côte à côte. Le premier s’intitulait "Une sinistre et honteuse attaque contre la liberté d’expression". Il décriait l’action de Extinction Rebellion de vendredi dernier visant à bloquer les imprimeries de trois journaux appartenant à UK News de Rupert Murdoch. Le deuxième éditorial, comme nous le verrons plus loin, était un timide appel à ne pas envoyer Julian Assange aux États-Unis, à la veille de son audience d’extradition cruciale à Londres.
La protestation de Extinction Rebellion, qui n’a duré que quelques heures, a temporairement empêché la distribution des journaux de Murdoch, tels que le Sun et le Times, ainsi que d’autres titres imprimés par les presses de Murdoch, notamment le Daily Mail, le Mail on Sunday et le Daily Telegraph.
L’éditorial du Mail on Sunday a condamné comme on pouvait s’y attendre la prétendue tentative de "censure" par des manifestants, en la déclarant :
"un retour aux pires années de militantisme syndical, qui a failli étrangler une presse libre et qui n’a été vaincu que par l’action déterminée de Rupert Murdoch".
Le journal s’est enflammé :
"Le blocus des journaux était une tentative honteuse et dangereuse d’écraser la liberté d’expression, qui ne doit jamais se reproduire".
C’est le message de propagande qui a été répété dans la plupart des "médias traditionnels" (...)
Comme Media Lens l’a démontré à plusieurs reprises au cours des 20 dernières années, ce sont les médias officiels, dont BBC News, qui ont sans cesse "limité l’accès du public aux informations" en lui refusant toute la vérité sur la dégradation du climat, le bellicisme du Royaume-Uni et des États-Unis, y compris les guerres en Irak, en Afghanistan et en Libye, l’armement de l’Arabie saoudite et la complicité de ce régime brutal dans la destruction du Yémen, le soutien du gouvernement britannique à l’État d’apartheid d’Israël alors même qu’il écrase le peuple palestinien, l’ouverture insidieuse du NHS [Système de santé en GB - Ndt] aux intérêts privés et de nombreuses autres questions d’importance publique. (...)
Extinction Rebellion (XR) a expliqué succinctement via Twitter les raisons de son action "totalement scandaleuse" :
"Chers journalistes, nous sommes désolés pour les perturbations causées à vos affaires ce matin. Cher Monsieur Murdoch, nous ne sommes absolument pas désolés de continuer à perturber votre ordre du jour ce matin. (...)
Un article sur le site web de XR, simplement intitulé "Nous n’avons pas de presse libre", disait :
"Nous sommes dans une situation d’urgence sans précédent et les journaux que nous avons ciblés ne reflètent pas l’ampleur et l’urgence de ce qui arrive à notre planète."
(...)
"Chaque personne qui travaille pour News International ou un journal du Mail sait quelle histoire est ou n’est pas acceptable pour son patron. Et leurs patrons le savent parce qu’ils savent ce qui est acceptable pour Murdoch ou Rothermere ou pour les autres milliardaires qui contrôlent 70 % de nos médias". (...)
Le dernier rapport de Media Reform Coalition sur la propriété des médias britanniques, publié en 2019, a révélé l’ampleur du problème de la propriété extrêmement concentrée des médias. Trois entreprises seulement - News UK de Rupert Murdoch, Daily Mail Group et Reach (éditeur des titres du Mirror) - dominent 83 % du marché national des journaux (contre 71 % en 2015). Si l’on tient compte des lecteurs en ligne, seules cinq entreprises - News UK, Daily Mail Group, Reach, Guardian et Telegraph - dominent près de 80 % du marché. (...)
Assange dans le collimateur américain
Outre l’attaque d’extrême droite contre les militants climatiques, le Mail on Sunday, qui appartient à un milliardaire et qui met en évidence l’absence d’une "presse libre", le journal a publié un éditorial qui évoque brièvement le danger que représenterait pour tous les journalistes l’extradition du cofondateur de WikiLeaks, Julian Assange, du Royaume-Uni vers les États-Unis :
"Les accusations portées contre M. Assange, en vertu de la loi américaine sur l’espionnage, pourraient être utilisées contre des journalistes légitimes dans ce pays".
L’implication est que M. Assange ne doit pas être considéré comme un "journaliste légitime". En effet, le journal d’opinion du milliardaire Rothermer - une description plus précise que "journal" - a clairement exprimé son antipathie à son égard :
"Les révélations de M. Assange sur les fuites ont causé un grave embarras à Washington et sont également accusées d’avoir causé des dommages matériels."
Le terme "embarras" fait référence à la révélation d’actions criminelles américaines menaçant la capacité du grand État voyou à commettre des crimes similaires à l’avenir : pas embarrassant (Washington est sans honte), mais potentiellement limitatif.
The Mail on Sunday a poursuivi :
"M. Assange a été une nuisance spectaculaire pendant son séjour dans ce pays, violant la liberté sous caution et faisant perdre du temps à la police en se réfugiant à l’ambassade d’Équateur. Le Mail on Sunday désapprouve une grande partie de ce qu’il a fait, mais nous devons également nous demander si son traitement actuel est juste, correct ou équitable".
Les insinuations et les calomnies subtiles contenues dans ces quelques lignes ont été démolies à plusieurs reprises (...)
Telle est la réalité du monde de plus en plus autoritaire dans lequel nous vivons.
La mollesse de la défense d’Assange que l’on constate actuellement y compris dans les médias de droite, comme le Mail on Sunday, révèle une véritable crainte que tout journaliste puisse à l’avenir être visé par le gouvernement américain pour avoir publié des documents susceptibles d’irriter Washington.
Dans une interview accordée cette semaine, Barry Pollack, l’avocat américain de Julian Assange, a mis en garde contre le précédent "très dangereux" qui pourrait être créé avec l’extradition d’Assange vers les États-Unis :
"La position que les États-Unis adoptent est très dangereuse. La position adoptée par les États-Unis est qu’ils ont une juridiction dans le monde entier et qu’ils peuvent engager des poursuites pénales contre tout journaliste n’importe où sur la planète, qu’il soit citoyen américain ou non. Mais s’ils ne sont pas citoyens américains, non seulement les États-Unis peuvent les poursuivre, mais cette personne ne pourra pas se défendre en vertu du premier amendement".
En contraste frappant avec les faibles protestations du Mail on Sunday et du reste des médias de l’establishment, Noam Chomsky a souligné la simple vérité dans une récente interview sur RT (notez la rareté des interviews de Chomsky sur BBC News, et considérez pourquoi ses opinions ne sont pas recherchées) :
"Julian Assange a commis le crime de faire savoir à la population des choses qu’elle a le droit de savoir et que les États puissants ne veulent pas qu’elle sache."
(...)
Peter Oborne est un exemple rare de journaliste de droite qui s’est exprimé avec force pour défendre Assange. Oborne a écrit la semaine dernière dans Press Gazette que :
"Les générations futures de journalistes ne nous pardonneront pas si nous ne luttons pas contre l’extradition".
(...)
Le 7 septembre, John Pilger a prononcé un discours devant l’Old Bailey à Londres, juste avant le début de l’audience d’extradition de Julian Assange. Ses paroles ont constitué un puissant reproche à ces soi-disant "journalistes" qui ont maintenu un silence lâche, ou pire encore. Les "rapporteurs officiels de la vérité" des médias - les sténographes qui collaborent avec le pouvoir, aidant à vendre leurs guerres - sont, selon Pilger, des "journalistes de Vichy".
Il poursuit :
"On dit que quoi qu’il arrive à Julian Assange au cours des trois prochaines semaines, cela va affaiblir sinon détruire la liberté de la presse en Occident. Mais quelle presse ? The Guardian ? La BBC, le New York Times, le Washington Post de Jeff Bezos ?
Non, les journalistes de ces organisations peuvent dormir tranquilles. Les Judas du Guardian qui ont flirté avec Julian, exploité son œuvre phare, qui en ont bien profité puis qui l’ont trahi, n’ont rien à craindre. Ils sont en sécurité parce qu’on a besoin d’eux.
La liberté de la presse est désormais l’apanage d’un petit nombre d’honorables : les exceptions, les dissidents sur Internet qui n’appartiennent à aucun club, qui ne sont ni riches ni couverts de Prix, mais qui produisent un journalisme fin, rebelle et éthique - comme celui de Julian Assange."