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Compte-rendu par Marie-Claude Saliceti (mcinformactions.net)
Présentation du livre « manifeste des oeuvriers » par Roland Gori et Charles Sylvestre jeudi 26 octobre à la machine à musique, Bordeaux
Manifeste des Œuvriers, éditions Actes-Sud Sciences humaines, coédition Les Liens qui Libèrent, 80 pages, 9,50 euros Roland Gori, Bernard Lubat, Charles Sylvestre
Article mis en ligne le 27 octobre 2017

Voici mon écho personnel - subjectif forcément - de cette belle présentation.
il ne me reste plus qu’à lire le "manifeste", que j’ai acheté avant de partir, bien sûr !

"Roland Gori est psychanalyste, professeur émérite de psychopathologie à l’université d’Abc-Marseille, président de L’Appel des appels. Bernard Lubat est artiste, musicien de jazz et fondateur du Festival d’Uzeste. Charles Silvestre est journaliste, ancien rédacteur en chef de L’Humanité, vice-président des Amis de L’Humanité." (Site de l’éditeur)

Constat du terrible « désœuvrement du monde » au cœur de tous les domaines de l’action humaine.

Pour Charles Sylvestre, le terme « oeuvrier » est un mot ouvert, destiné à éveiller pour chacun, une réalité, des désirs. Il a été utilisé pour la première fois par Bernard Lubat. A Uzeste, tout est renversé. L’Art est quelque chose qui doit surprendre.
C’est venu de la naissance du Festival d’Avignon, un boulot d’artisans qui doit beaucoup à René Char, à Jean Vilar : une sorte de « complot de la Résistance » en quelque sorte. Depuis, Avignon a fait son chemin, Bernard Lubat n’a pas envie de « jouer le nombre ». Pour lui la musique n’est pas que la musique : la Parole est très importante à Uzeste … voilà le départ de ce mot d’ « oevriers ».
Ce recours à l’Histoire n’est pas un retour...

Et puis il y a eu la rencontre de l’Appel des Appels : pour une insurrection des consciences afin d’accoucher d’une Renaissance.

Roland Gori : pour Hannah Arendt c’est l’œuvre, qui, avec la parole et le politique, a spécifié notre espèce. Le « désœuvrement » c’est donc grave.
Nous avons assisté à la décomposition et recomposition de nos œuvres par Sarkozy au profit d’un logiciel entrepreneurial. C’est pareil dans l’information où s’instaure une logique d’audimat. Cette perversion du système vise à coloniser nos esprits selon le modèle néolibéral, dont les critères sont uniquement gestionnaires.

Taylor l’avait annoncé : « dans le passé l’Homme était tout, ce sera désormais le Système »…
Dès le début du XX° siècle de nombreux penseurs ont tout de suite compris le risque de prolétarisation de l’ensemble des métiers.
L’Appel des Appels met en évidence que c’est dans tous les métiers (Cf. Les Temps modernes de Chaplin) : aujourd’hui dans cette financiarisation générale des activités humaines il s’agit de casser les métiers, tout en prônant un hédonisme de masse, y compris dans le travail.

Le livre est la rencontre de trois personnes dans l’amitié ; c’est aussi la rencontre possible de trois vecteurs humains : le mouvement social, le mouvement artistique-culturel, les professions de l’humain.
A Uzeste, on rencontre quelque chose qui dé-sectorise nos activités. Mais c’est le fait de chacun :
faire partager à un autre une expérience sensible avec le « talent de donner poétiquement le monde ». Chaque société a l’art qu’elle mérite.
Actuellement il y a des choses qui émergent : Nuit Debout par exemple.

Charles Sylvestre : pour la Présidente des Orthophonistes de France, cette profession, - toutes les professions de l’humain – se situent dans un temps long. On n’a pas choisi ce métier pour remplir des cases au bout de trois mois ! La révolte de cette professionnelle rejoint celle de l’Appel des Appels contre l’invasion des passions parfois les plus basses : répression croissante des mineurs délinquants par exemple ; alors que ce qui fonde tout le boulot de la PJJ (Protection Judiciaire de la Jeunesse) depuis les ordonnances de 1945, c’est de garder son sang-froid et penser toujours en termes d’éducation.
Ce problème revient sur l’avant-scène. Actuellement des études montrent que plus d’un étudiant sur deux veut faire un travail intéressant, dans une économie sociale et solidaire, et se désintéressent de plus en plus de l’enrichissement personnel ; voilà qui va dans le sens de la casse du libéralisme financier triomphant aujourd’hui. Nuit Debout : « on aurait aimé faire les choses avec plaisir, on nous prend pour des esclaves ! ».
Dans le Code du Travail il y a quelque chose qui n’est pas que le code. Mais la question : « qu’est-ce que le Travail ? » on en est au tout début de ce questionnement.
Il y a chez les jeunes une montée d’une révolte qui sourd. Une transversalité s’est construite où tout le monde peut se reconnaître. c’est « l’œuvre à l’œuvre » selon Lubat. On construit. Ça touche le travail mais ça touche à la vie. Pour Montaigne l’amitié c’est la transformation du Moi.

Roland Gori : Le professionnel est martyrisé par la Machine. Cette violence, l’ouvrier ne la retourne pas contre la machine, mais contre les autres ou contre lui-même, ce qui explique notamment l’émergence des suicides en entreprise.
l’enjeu est entre la liberté et la nécessité. On assiste à une mise sous curatelle technico-financière des individus et des peuples. Les ordonnances de 1945 étaient un pari sur le « levain de l’inachevé » : on n’est plus dans ce modèle aujourd’hui. En psychiatrie, les expertises pour évaluer la dangerosité ne tiennent pas la route : on va prédire le risque de récidive en termes de probabilités ! En gros, tout est joué d’avance ! On est déterminé par la somme de ses comportements passés, il n’y a plus d’avenir !
La liberté, selon Hannah Arendt, requiert la présence d’autrui. J’ai besoin d’être reconnu par l’Autre. Cela implique un enjeu politique majeur. La démocratie ne peut pas se décider et se vivre sans un changement de logiciel politique. L’ensemble des mots socio-libéraux est en crise. Les partis qui étaient autrefois plutôt à gauche se sont discrédités. L’enjeu est sur les scènes professionnelles. Le travail est un organisateur social (Hannah Arendt). La capacité de prendre le risque d’un nouveau projet de société a disparu.
La précarité est le nouveau nom de la peur sociale.

Le changement doit venir du mouvement social.
William Maurice propose la « désobéissance artistique »C’est le modèle social-libéral qui rend les nouvelles technologies aliénantes. Elles ne le sont pas par nature. Il faut se les approprier pour en faire des vecteurs d’innovation sociale et politique.

Charles Sylvestre : Tout reste ouvert aujourd’hui. Il se passe beaucoup de choses dans le mouvement artistique.
En 1936 : la semaine de 40h, les congés payés,
en 1945 : la Sécurité Sociale
ont changé la vie de millions de personnes
Aujourd’hui le monde ouvrier a été enterré vivant. Mais on découvre qu’il y a encore des ouvriers...quand il y a des grèves.
Le mouvement ouvrier va devoir se modifier pour devenir un mouvement oeuvrier ; et cela de diverses manières : il va falloir reconstruire une vie en fonction du travail, de la formation, de la famille…
aller vers une unification dans les luttes, une suppression des cloisonnements, des compartiments.

Roland Gori  : il y a à penser aujourd’hui la place de l’intellectuel dans l’ensemble des métiers : ce qui, en chacun de nous, fait réfléchir au sens, aux finalités de l’acte accompli. Il s’agit de restituer cette dimension artisanale et artistique et voir comment elle est harmonisable avec les nouvelles technologies. Autrement, avec le Profit comme enjeu majeur,c’est le risque de la disparition de l’humanité dans l’homme.
Il est remarquable de voir combien la dimension esthétique est présente dans des domaines scientifiques comme la physique quantique.

Charles Sylvestre : beaucoup de gens sont seulement des exécutants. Jaurès en 1903 qualifie d’ « ouvriers-citoyens » tous ceux qui produisent et créent, tous les créateurs de richesse, de beauté, de joie.

Débat

 une question concernant l’Hôpital : n’y a t’il pas un paradoxe dans ce que vous dites ?
Plus un chirurgien opère, plus ses résultats sont bons ; or il n’opère que peu souvent dans les petites unités. Il n’y a pas si longtemps, la plupart des équipes travaillaient dans des conditions correctes.

 Roland Gori : ça a changé très vite, en très peu de temps. j’ai beaucoup de soignants parmi mes patients, aujourd’hui ils amènent beaucoup de souffrance dans les services.

 une remarque sur l’importance du choix des mots dans l’action sociale : l’ « appel à projets » c’est du jargon d’entreprise ; et ça met les acteurs sociaux en concurrence : comment s’en dégager sans s’exclure ?

Roland Gori : l’appel à projets sert à séquencer les choses, casse le temps pour faire œuvre. J’ai refusé - parce que ça m’était possible – de continuer à faire des expertises. A un certain moment on est trahi dans certaines valeurs qu’on portait.
Quel sens ça a de répondre à des appels d’offres ?

 une remarque : au XIX° siècle on se demandait s’il fallait ou non briser les machines (cf. les luddites) ; aujourd’hui ce sont les patrons qui les brisent pour que les ouvriers ne puissent pas les reprendre !
Bernard Lubat n’est-il pas entrain de faire œuvre de création dans une autre conception de la décentralisation ?

 Charles Sylvestre : il est excentré, oui. Je déplore le gigantisme dans le courant artistique actuel. Tout tourne autour de l’argent de la Recette, d’où la recherche de montée en puissance. Ils appellent ça des « événements », c’est la négation de l’Art. Lubat, un jour, a dit « stop avec le show-biz » - Jean Ferrat également - « ma carrière est derrière moi, mon œuvre est devant moi » Bernard Lubat

 Roland Gori : on pourrait reprendre cette phrase dans chacun de nos métiers : il ne faut pas faire comme si la qualité était une émergence de la quantité !

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