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RFI
Prise d’otage d’Olivier Dubois au Mali : l’armée française a suivi le journaliste jusqu’à son enlèvement, le rôle trouble du fixeur
#Mali #otages #OlivierDubois
Article mis en ligne le 18 mai 2023
dernière modification le 17 mai 2023

Olivier Dubois a été libéré le 20 mars dernier, après deux années de captivité aux mains du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, lié à al-Qaïda au Maghreb islamique. Il avait été enlevé à Gao, dans le nord du Mali, où il devait interviewer un chef jihadiste. Notre enquête révèle qu’au moment de son enlèvement, l’armée française suivait pas à pas ses préparatifs, à son insu, depuis plusieurs mois. Des témoignages mettent aussi en lumière le rôle trouble du « fixeur » du journaliste français et les conditions risquées de son reportage.

Enquête menée conjointement depuis plus d’un an et demi par RFI, TV5 Monde, Libération, et Le Monde. Ces révélations ont été retenues par nos médias jusqu’à la libération d’Olivier Dubois pour ne pas nuire à sa sécurité et aux négociations alors en cours.

Ce 8 avril 2021, Olivier Dubois avait rendez-vous avec un chef jihadiste du Jnim, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, lié à al-Qaïda. Ce rendez-vous, le journaliste français indépendant, installé au Mali depuis 2015 pour le compte de plusieurs médias, l’avait minutieusement préparé. Dans les plus petits détails et dans la plus grande discrétion. Mais il ignorait que son secret… n’était pas un secret. (...)

À Olivier Dubois, aux militaires français et à nos médias, Kader assure que c’est sous la contrainte et pour protéger sa vie et celle de sa famille qu’il a dû accepter de rendre certains services au Jnim. Pour préserver son anonymat et sa sécurité, nos médias ont choisi de ne pas donner davantage de précisions sur ces services. Olivier Dubois, qui avait découvert Kader quelques années auparavant sur les réseaux sociaux, et avec qui il avait déjà travaillé sur plusieurs reportages, en avait fait l’une de ses sources les plus précieuses. Entre Kader et Olivier Dubois, une relation de grande confiance s’est ainsi progressivement instaurée.

Indicateur de l’armée

Mais Kader n’est pas seulement une source pour le journaliste. Il est également un indicateur de l’armée française. (...)

Fin 2020, Olivier Dubois demande à Kader de l’aider à interviewer Abdallah Ag Albakaye. Le journaliste sait que Kader a déjà fourni à plusieurs reprises des renseignements à l’armée française par le passé, mais il n’imagine pas que son projet d’interview puisse être éventé. Au fil des ans, leur relation s’est transformée en amitié. Olivier Dubois a confiance en son fixeur.

Kader informe pourtant la force Barkhane immédiatement. Olivier Dubois, lui, ne se doute de rien. À compter de cette date, les militaires français suivent pas à pas les préparatifs du journaliste, à son insu, grâce aux rapports réguliers de Kader. (...)

Après l’enlèvement, la direction des armées lance une enquête interne, dont les conclusions sont rendues tout juste un mois plus tard, le 7 mai 2021, puis le 24 septembre 2021 pour le rapport complémentaire détaillé. Classés « secret défense », puis déclassifiés pour les besoins de l’enquête judiciaire, nos médias ont pu consulter ces documents, dans lesquels l’inspecteur explique par un dysfonctionnement interne la poursuite de la collecte de renseignements autour d’Olivier Dubois, malgré la décision prise le 23 mars de ne pas mener d’opération (...)

les militaires français expliquent n’avoir jamais assisté à l’enlèvement d’Olivier Dubois, mais en avoir progressivement et simplement fait le constat, en ne voyant pas revenir le journaliste. « Au bout de 48 heures, je me dis qu’il faut envisager le cas d’une prise d’otage », déclare un très haut gradé de la force Barkhane.
« Pourquoi ne pas lui avoir dit de tout arrêter ? »

Les militaires français confient à la justice avoir eu, au fil des semaines, de plus en plus de signaux sur la possibilité d’un guet-apens (...)

Après l’enlèvement d’Olivier Dubois, la force Barkhane a interrogé Kader à Gao pendant plusieurs jours, sans l’interpeler. C’est la police malienne qui s’en est chargée. Aujourd’hui, Kader est officiellement inculpé au Mali pour « association de malfaiteurs terroriste » et « acte de terroriste (sic) ». En liberté conditionnelle depuis plusieurs mois, il estime avoir été « trahi » et « abandonné » par l’armée française. Au cours de ses différentes auditions et dans ses échanges avec nos médias, Kader s’est, à de nombreuses reprises, dédit pour changer de version sur certains points.

La loyauté de Kader allait-elle davantage au Jnim qu’à l’armée française ? A-t-il su manipuler, ou s’est-il lui-même fait manipuler par les uns et les autres ?

Du côté des militaires français, c’est bien la fiabilité de Kader qui est mise en doute. (...)

Sollicité par nos médias, Olivier Dubois a préféré ne pas commenter ces informations à ce stade.

Le ministère des Armées n’a pas souhaité répondre à nos questions mais indique « se réjouir » de la libération d’Olivier Dubois et « coopérer pleinement avec la justice. » Le ministère des Affaires étrangères n’a pas répondu à nos sollicitations. (...)

« Utiliser un journaliste comme cheval de Troie : une forme de négligence voire d’irresponsabilité »

Arnaud Froger est responsable du bureau Investigation de Reporters sans frontières. L’association s’est constituée partie civile dans la procédure judiciaire ouverte par le Parquet national antiterroriste de Paris sur l’enlèvement au Mali du journaliste Olivier Dubois le 8 avril 2021. Il réagit aux révélations de notre enquête sur le fait que l’armée française a suivi Olivier Dubois, de ses préparatifs jusqu’au moment même de son enlèvement. (...)