
Après six années en prison, trois jeunes femmes, accusées de complicité avec le groupe terroriste Boko Haram, doivent être jugées pour la première fois par un tribunal civil le 24 juillet, dans le nord du Cameroun. Elles encourent la peine de mort. Leur avocat dénonce sur France 24 une erreur judiciaire.
Des dizaines de milliers de civils fuient les exactions du groupe et les affrontements avec l’armée pour se réfugier au Niger, au Tchad ou au Cameroun voisins. Dans ce contexte, en septembre 2014, Marie, Damaris et Martha regagnent en urgence leur village camerounais.
Le Cameroun s’engage à son tour dans la lutte contre Boko Haram, face aux attaques du groupe qui mène notamment une incursion dans l’extrême nord du pays en mai 2014. La lutte contre les jihadistes devient cause nationale et les forces de sécurité mènent des "opérations de ratissage", arrêtant des milliers de personnes. Mais ils se rendent aussi coupables "de violations de droits humains", selon un rapport d’Amnesty International publié en 2015. C’est dans ce cadre que les trois jeunes femmes, encore mineures, sont arrêtées en octobre 2014.
Accusées d’appartenir à Boko Haram sans comprendre pourquoi
À l’époque, Damaris vient d’accoucher et Marie est enceinte. Aucune d’elles n’a été scolarisée, elles ne parlent pas le français utilisé par l’administration judiciaire et la police, et n’ont pas les moyens d’engager un avocat. Elles peinent à comprendre les charges qui pèsent contre elles. (...)
Les jeunes femmes sont incarcérées d’abord à Moloko puis à la prison centrale de Maroua où Marie donne naissance à son fils. En 2016, après 17 mois de détention préventive, Marie, Damaris et Martha sont traduites devant un tribunal militaire qui les condamne à mort pour complicité de terrorisme.
Incarcérées dans des conditions déplorables – surpopulation, manque de nourriture, d’hygiène, de chauffage, absence de soins médicaux, isolement, etc…– elles élèvent leurs enfants en prison en attendant leur exécution. Jusqu’en 2019, quand l’avocat Nestor Toko, président du Réseau des avocats camerounais contre la peine de mort, décide d’assurer leur défense. Il parvient à faire annuler la condamnation à mort du tribunal militaire, non habilité à juger des mineurs, et parvient à faire transférer leur dossier devant le tribunal civil de Mokolo. (...)
Le 24 juillet 2020, c’est devant cette juridiction qu’il va demander l’annulation pure et simple de la procédure."Tout le dossier est basé sur une enquête préliminaire irrégulière. Ce dossier est vide", explique-t-il à France 24. (...)
Aujourd’hui, bien que Boko Haram mène toujours des attaques répétées dans les villages de l’Extrême-Nord situés non loin de la frontière avec le Nigeria, pillant et rasant tout sur leur passage, la lutte contre le groupe n’est plus érigée en cause nationale. Depuis 2016, c’est la crise anglophone qui concentre tous les regards. (...)
La baisse en intensité du conflit pourrait donc bénéficier aux jeunes femmes. Mais Nesto Toko reste prudent. Selon lui, le procès n’est pas à l’abri de nouveaux renvois et il redoute que la procédure ne dure encore plusieurs mois. Marie, Martha, et Damaris, oscillent entre la peur d’être à nouveau condamnées à mort et le maigre espoir d’être un jour, peut-être, libérées et lavées de tout soupçon.