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Reporterre
« Produire autrement et partager le travail pour en finir avec le chômage »
Entretien avec Dominique Méda
Article mis en ligne le 2 mai 2014

Le 1er mai était le jour de la fête du Travail, que Reporterre a célébré en se mettant en pause. On en a profité pour réfléchir sur ce que représente le travail aujourd’hui, lors d’une rencontre avec la philosophe et sociologue Dominique Méda, notamment auteure de Réinventer le travail.

Dominique Méda - Dans cet ouvrage, je ne décrivais pas une situation objective. J’exprimais le souhait que le travail prenne moins de place dans nos vies et soit mieux réparti entre les membres de la société, pour que chacun assume ses rôles de travailleur, parent, citoyen, ami…

Continuer à faire du partage du travail une cause commune aux travailleurs de tous les pays – puisque je rappelle qu’il s’agit d’une Fête internationale des travailleurs ! – et conserver un jour férié pour formuler des propositions destinées à améliorer leur situation me paraît non seulement une excellente chose, mais aussi une absolue nécessité. (...)

Les causes du chômage tiennent à la conjugaison de trois éléments : un étouffement de l’activité par les politiques d’austérité et plus généralement par le détournement des financements vers l’économie spéculative, une compétition intra-européenne et internationale non régulée dont la principale variable d’ajustement est le travail, et une réduction du temps de travail non proportionnelle aux gains de productivité réalisés durant le dernier quart de siècle.

Les diagnostics qui mettent en avant les prétendues rigidités et le coût du travail français sont partiels car ils se focalisent sur un élément unique alors que l’on pourrait tout autant incriminer la faiblesse de la recherche française, les erreurs de management, les stratégies à courte vue, l’insuffisante qualité des produits français, etc.

Quelles solutions l’écologie apporte-t-elle pour sortir de ces impasses ?

D’abord, un message crucial : non, la croissance ne constitue pas la réponse au chômage. Cela fait trente ans qu’on entend cette idée que le retour de la croissance va nous sauver. Or, non seulement la croissance ne revient pas, non seulement elle risque de ne pas revenir, mais surtout, il n’est pas souhaitable qu’elle revienne aux rythmes antérieurs. (...)

Ma thèse est que nous pouvons sortir par le haut de la grave crise écologique à laquelle nous sommes confrontés en mettant la résolution de celle-ci au service de l’emploi et du travail.

Comment ?

Par un changement de la production. Produire autrement, enserrer la production dans des contraintes sociales et environnementales peut nous permettre à la fois de mieux partager l’emploi et de changer le travail. Jean Gadrey a montré dans ses travaux qu’une production plus propre, écologiquement et socialement, exige plus de travail. Cette plus grande quantité de travail, il nous faut la répartir autrement sur l’ensemble de la population active. (...)

Les 32 heures ne sont pas la seule manière d’y arriver. L’enjeu me semble plutôt être de partager autrement le travail. Car cela passe, certes, pour les uns par une réduction, et pour d’autres – tous ceux qui sont à temps partiel subi notamment – par une augmentation du temps de travail. Il faut substituer au partage actuel du travail, sauvage, un partage civilisé.

Ce partage devrait surtout selon moi s’accompagner d’une désintensification du travail, avec de nouveaux rythmes. Et ce d’autant plus qu’il nous faut désormais rechercher, dans un grand nombre de secteurs, des gains de qualité et de durabilité plutôt que des gains de productivité. (...)

Nos sociétés sont tellement tétanisées et désorientées qu’elles sont certainement prêtes à des changements. Pas nécessairement ceux que je propose, mais je crois que nos concitoyens sont désormais en attente de solutions radicales, tant on leur a raconté d’histoires.

La gauche s’est particulièrement décrédibilisée en mettant très peu en œuvre les propositions qu’elle soutenait lorsqu’elle était dans l’opposition, et ce depuis le début des années 1980. Un discours « écologiste-de-gauche » est de ce fait difficilement audible : comment parler de décroissance ou de sobriété heureuse à ceux qui gagnent moins de mille euros par mois ?

Les écologistes sont considérés comme des bobos et des gens dont les préoccupations sont beaucoup trop de long terme. Pour concilier justice sociale et efficacité écologique, la voie est étroite et nouvelle : il faut en effet tout changer, engager une bifurcation radicale.

Cela nécessite de remettre en cause les situations établies, les intérêts des lobbies, sans savoir très bien ce qu’il y aura au bout du chemin et sans avoir réellement trouvé le bon argumentaire. Il faut réussir à montrer quels peuvent être les enchaînements vertueux, qui va y gagner, comment on va procéder, etc.

Et puis, il y a évidemment la question centrale de savoir qui va commencer et avec qui nous allons nous engager dans cette voie (...)