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Qatar connection : vol de corbeaux et nid d’espions autour des révélations de Blast
Article mis en ligne le 19 septembre 2021

Dans un communiqué, le ministère de la justice des Etats-Unis annonce un accord transactionnel passé avec trois ex des services américains, partis depuis dans le privé. En échange d’une amende, les Etats-Unis abandonnent les poursuites contre leurs ressortissants. Ces hommes travaillaient au sein d’une cellule d’espionnage massive – l’opération Raven (corbeau en français) - menée par les Emirats arabes unis contre ses ennemis. Parmi eux, le Qatar : les secrets d’Etat de son grand rival, dont Blast a commencé à révéler la nature, ont été piratés pendant des années…

Il est des noms faits pour l’Histoire. Celui de Lori Stroud (photo de une) promet d’y rester. Depuis deux ans, cette ex-agent de la NSA (la National security agency, chargée de la protection des secrets américains) se retrouve au cœur de révélations d’une importance sans précédent. Celles liées à l’opération Raven (corbeau), qui mettent en émoi la communauté mondiale du renseignement. Par leur impact, les informations qui y sont rattachées dépassent très largement celles du pourtant mondialement connu Edward Snowden - pour la petite histoire, c’est d’ailleurs… Lori Stroud qui avait recruté Snowden en 2013 pour venir travailler à la NSA, avant qu’il ne se volatilise et ne révèle quelques mois plus tard au monde ce qu’il avait découvert.

Lori Stroud, retenez ce nom, est celle qui a livré les secrets du corbeau. (...)

Le corbeau a fait sa réapparition ce mardi de façon inattendue par l’intermédiaire d’un communiqué de l’administration américaine. Ce texte aux armoiries du bureau des affaires publiques du département de la Justice annonce une transaction passée avec trois anciens membres du renseignement d’Etat américain. Tous trois liés à l’opération Raven/corbeau. « Ces personnes ont choisi d’ignorer nos avertissements en tirant parti de leurs années d’expérience pour aider les cyberopérations offensives d’un gouvernement étranger », a commenté Steven M. d’Antuono, le directeur adjoint du bureau extérieur du FBI à Washington, qui a participé à l’enquête.
Noirs desseins…

Quand elle rejoint la société américaine Cyberpoint en 2014, Lori Stroud vient de passer une décennie au sein de la NSA. Dans le brief pour lui présenter ses nouvelles missions, on lui précise qu’il s’agit d’organiser la cyber-défense des Emirats arabes unis (UAE), un client important qui a besoin de se protéger de ses ennemis.

Chez Cyberpoint, les collaborateurs travaillent avec un code couleurs, une sorte de nuancier qui les distribue selon les missions. La jeune femme comprend que le violet est celle attribuée aux opérations défensives – il s’agit dans ce cas de bloquer une tentative d’intrusion. Mais chez les collègues de Lori Stroud, tout le monde se concentre surtout sur les « Black brieffing ».

A Cyberpoint, le black est la couleur des opérations offensives : des intrusions destinées à armer des dossiers compromettants sur les opposants aux UAE, en hackant leurs systèmes informatiques, leurs messageries, leurs smartphones et leurs appareils mobiles. Au total, environ deux cent personnalités sont ciblées. Parmi elles, des frères musulmans ou encore la journaliste Tawakkol Karman, leader charismatique du « printemps arabe » au Yémen. Mais surtout il y a… le Qatar. Une cible prioritaire. (...)

Remords tardifs

Pour comprendre les tenants, aboutissants et l’importance de cette histoire d’espions et de corbeaux, il faut remonter un peu dans le temps. L’opération de piratage est initiée en 2009, juste à temps pour capter le document par lequel le ministre de l’Economie et des Finances du Qatar autorise le 24 novembre 2009 un paiement de 6 millions d’euros à Carla Bruni – à une époque où Nicolas Sarkozy, son mari, est président de la République française en exercice.

Au départ, pour suivre et mener ces actions pour le compte de la monarchie, Cyberpoint recrute principalement des Américains. Ces hommes et femmes ont un passé et une expérience, acquises dans les grandes agences de surveillance ou au sein de l’appareil militaire. Ils composent une cellule secrète d’une dizaine d’espions installée dans le plus grand secret à Abou Dhabi, la capitale des Émirats arabes unis. Mais à partir de 2015, la politique de recrutement évolue à la demande des UAE : la monarchie entend maîtriser totalement le contrôle et le travail d’une cellule particulièrement stratégique et sensible pour ses intérêts. De plus, avec l’argent et le temps, les UAE ont aussi appris à maîtriser les techniques et les subtilités de cette guerre par nature souterraine. Les opérateurs américains sont mis devant le fait accompli. Le marché est le suivant : les espions peuvent continuer leur travail à condition de rejoindre une nouvelle société, émiratie celle-là, la bien nommée Darkmatter. Ou alors rentrer chez eux. (...)

Lori Stroud et les huit autres membres de l’équipe Raven, ceux qui opéraient depuis Abou Dhabi, éprouvent des remords. La nature de leur travail, ils la connaissent parfaitement. Son caractère sensible, voire immoral. Surtout, ils savent qu’il y a des journalistes, des militants des droits de l’homme et des organisations humanitaires qui font l’objet de cet espionnage, via leurs téléphones portables, et que les conséquences ne sont pas neutres, avec un tel client/commanditaire. Car le petit émirat ratisse large, très large, et avec lui la répression est féroce. (...)

L’existence du programme Raven et de ses espions, Reuters l’avait révélée en janvier 2019. Une information passée totalement inaperçue en France, la presse française ayant négligé de la relayer auprès de ses lecteurs. Les autorités américaines, notamment la NSA, comprennent tout de suite ce qui se joue. Elles savent que les documents collectées au profit de la monarchie du Golfe, qui se retrouvent visiblement dans la nature, puisqu’ils circulent, sont explosifs (...)

Officiellement, les agences américaines ne savaient rien de l’opération Raven : ni ce qui se passait, ni comment les corbeaux au service d’Abou Dhabi opéraient, et évidemment rien des documents qui ont été hackés et de leur contenu, dont nos lecteurs ont déjà pu gouter la nature détonante. On n’est pas obligé de les croire.