
Depuis quelques jours, la question de la livraison de chars lourds à l’Ukraine divise ses alliés occidentaux et suscite nombre de commentaires. Cette décision constitue-t-elle une escalade ? La Russie pourrait-elle en prendre prétexte pour répliquer ? Si le terme semble transparent, il est parfois mal compris et peut entraîner des confusions. Olivier Schmitt rappelle quelles sont les formes du risque d’escalade — et montre pourquoi il est loin d’être nul.
La décision des pays occidentaux de livrer à l’Ukraine des chars lourds — principalement des Leopard 2 de conception allemande et des M-1 Abrams de conception américaine — a créé des tensions entre les alliés — notamment du fait des réticences initiales de l’Allemagne —, et inquiété certains observateurs. Pierre Lellouche saluait ainsi les hésitations allemandes « afin d’éviter de franchir une étape potentiellement dangereuse dans l’escalade avec la Russie »1 ; Gérard Araud s’inquiétait que nous soyons « engagés étape après étape dans une escalade incontrôlée » 2, une crainte partagée par Alexis Corbière ou Bruno Retailleau, Michel Onfray annonçant même que nous nous dirigerions vers une troisième guerre mondiale3.
Le terme « escalade » revient ainsi régulièrement dans le débat public, souvent pour évoquer un souci légitime d’éviter une confrontation directe entre pays occidentaux et Russie, mais sa définition et sa compréhension par les différents locuteurs est variable : il s’agit d’un bon exemple de terme qui semble transparent et intuitif, mais dont l’analyse est plus complexe.
Du fait des enjeux existentiels liés à la révolution nucléaire, la littérature en études stratégiques a, depuis les années 1950, très largement étudié les mécanismes d’escalade entre belligérants, notamment les escalades non-volontaires et non-maîtrisées. Ces travaux contiennent ainsi des observations et des résultats qui aident à penser plus clairement la situation actuelle. Nous ne discuterons pas ici de l’effet potentiel des chars sur les opérations, ou des modèles les plus appropriés pour les besoins et les capacités logistiques ukrainiens, mais tentons de répondre à la question : « est-ce une escalade ? ».
Penser l’escalade pour mieux l’empêcher
On peut définir l’escalade comme « une augmentation de l’intensité ou du périmètre d’un conflit qui franchit des seuils considérés comme significatifs par un ou plusieurs des belligérants »4 : employer de nouvelles armes au cours d’un conflit ou ouvrir un nouveau théâtre d’opérations sont des formes d’escalade. (...)