
C’est une lettre qu’un vieil homme batek, qui appartient à un peuple autochtone de chasseurs-cueilleurs en Malaisie péninsulaire, a souhaité adresser au monde. Il l’a donnée à Lye Tuck-po, une anthropologue qui délivre cette lettre et ce message dans son livre Changing Pathways. C’est une lettre orale, retranscrite en langue batek, traduite mot à mot et de manière plus littéraire en anglais par Lye Tuck-po et en français par mes soins. Le texte original est très elliptique et la traduction de Lye Tuck-po sonne très étrangement mais donne une idée de cette forme d’expression. Les Batek sont convaincu·es que les arbres font tenir le monde et que sans forêt, le monde disparaîtra. Ils et elles s’inquiètent non seulement de la disparition de leur milieu de vie mais aussi notre terre à nous tou·tes. Ce vieil homme utilise la deuxième personne du pluriel dans une forme tour à tour inclusive et exclusive que j’espère ne pas avoir traduite trop lourdement.
Nous voulons que les gens sachent que le monde peut finir. Il n’y a déjà plus d’arbres.
Quand ils font exploser la dynamite, le dieu Gubar fait pleuvoir longtemps. Nous nous en souvenons.
Ne prenez pas plus de forêt, posez là la limite. Nous avons tou·tes besoin de trouver à manger. Nous ne pouvons pas être cupides, nous devons ne prendre que ce dont nous avons besoin pour vivre. Nous ici, nous souhaitons discuter de cela.
La rivière Temoh n’a déjà plus d’arbres, seulement de l’huile de palme.
Nos âmes se nourrissent des arbres. La forêt, c’est les veines et les tendons de nos vies.
Cette terre est une île. Comment peut-elle tenir sans arbres ?
Par le passé, l’humanité vivait en paix et elle n’était pas en train de perdre le monde.
Les êtres surhumains (les dieux) disent qu’ils ont créé le cœur de la terre.
Les êtres surhumains se souviennent qu’ils sont nostalgiques.
Ils ont pitié des Batek quand ils entendent leurs chants.
Ils nous aiment tellement qu’ils nous préviennent de ce qui est en train de se passer.
Nous ici, nous entendons ce qu’ils disent, nous nous raccrochons à leurs voix.
Quand les arbres auront disparu, l’humanité n’aura plus nulle part où s’abriter. (...)
Les Malais pensent à des routes et posent des plantations de palmier à huile. Rendez-vous compte qu’ils tuent le monde. Où allons-nous tou·tes vivre ? Parce qu’ils tuent notre monde à tou·tes. Par le passé, l’humanité était en bonne santé. Maintenant nous ne pouvons plus espérer être en bonne santé. Donc tout le monde vit selon les mêmes règles.
Nous ici regrettons les temps de paix. Nous nous souvenons et nous regrettons. Nous montrons comment.
La terre est déjà coupée en morceaux. L’âme des rivières est bloquée. C’est important, de comprendre le danger. Les rivières ne peuvent plus couler, elles inondent leurs rives. Le sol devient mou et s’effondre. Ils ouvrent des canaux ailleurs, c’est par là que la terre se fissure.
C’est comme si l’humanité cherchait sa nourriture – avec la nourriture nous sommes riches mais le monde est parti. Nous devrions savoir comment le garder. Nous ne pouvons pas devenir riches et tuer le monde. (...)
Les personnes domestiquées, elles tuent le monde. Les fonctionnaires qui encadrent les populations autochtones se moquent de nous parce que nous sommes libres, dans la nature sauvage. Ils ne savent pas comment penser. Je veux qu’ils sachent comment penser. (...)