
Dans cet article, André Torre et Lise Bourdeau-Lepage s’interrogent sur la place de la nature en ville à travers la question de l’agriculture urbaine. Ils défendent l’idée que son avenir est étroitement lié à ses dimensions paysagères et esthétiques, voire éducatives, chères aux habitants des villes.
(...) Longtemps célébrée comme un vestige des temps passés, l’agriculture en ville s’impose aujourd’hui à l’agenda des politiques, qu’il s’agisse des documents d’urbanisme (schémas de cohérence territoriale (SCoT), schémas régionaux de cohérence écologique (SRCE), plans locaux d’urbanisme (PLU)) ou des contractualisations locales (voir, par exemple, le Schéma directeur de la région Île-de-France (SDRIF), voté le 25 octobre 2012 et qui soutient l’agriculture de proximité). Comme les y incitent les lois SRU (solidarité et renouvellement urbains) et les Grenelles de l’environnement, les collectivités territoriales expérimentent des dispositifs fonciers innovants en faveur de l’agriculture de proximité : zones agricoles protégées, périmètres de protection et de mise en valeur des espaces agricoles et naturels périurbains, îlots fonciers, chartes foncières ou projets agri-urbains. Dans le même temps, émergent des initiatives du tissu associatif ou des riverains, comme les réseaux Terres en villes, Terres de liens, ou PURPLE au niveau européen, dont l’objet est de favoriser une gestion concertée de l’agriculture et des espaces agricoles périurbains et d’encourager l’installation de paysans et d’activités agricoles à proximité des villes (Torre 2012a).
Les initiatives se sont multipliées (...)
ces « innovations » sont-elles de véritables alternatives pour l’avenir ou ne sont-elles que de simples caprices de « bobos » ? Cette agriculture urbaine est-elle réellement nourricière, induite par une contrainte économique, ou n’est-elle pas plutôt porteuse de valeurs sociales et d’esthétique, par ses qualités paysagères et les opportunités qu’elle offre en matière de vivre-ensemble ? (...)
Aujourd’hui, au nord de Lisbonne ou à Détroit, aux États-Unis, les jardins familiaux nourrissent une population victime de la crise et la question de la réintroduction ou du développement de ce modèle de production locale se pose de manière insistante. Sans apporter de réponse ferme à la problématique de l’alimentation des villes, les expériences n’ont cessé de se multiplier depuis : cultures maraîchères, exploitations avicoles ou ruches, serres sur les toits, mais aussi utilisation de ressources urbaines telles que les déchets organiques ou le compost (comme à Nantes et Lyon), ainsi que des eaux de récupération pour l’irrigation des cultures. (...)
Aujourd’hui, l’ampleur des innovations à concevoir et à développer ne permet en aucun cas d’imaginer une autosuffisance alimentaire des villes des pays industrialisés (Deverre et Traversac 2011), et l’agriculture ne peut prétendre s’intégrer au cœur du métabolisme urbain (Barles 2007). Mais l’agriculture urbaine balbutiante peut contribuer à accroître la place de la nature dans la ville (Bourdeau-Lepage et Vidal 2012) et apporter quelques solutions aux situations parfois dramatiques résultant de la crise (Torre 2012b). Les expériences sont en cours. Détroit, l’ancienne capitale de l’automobile, a réhabilité de vastes zones pour une agriculture de subsistance des populations locales et met en œuvre le plus grand projet de ferme urbaine au monde, dans l’esprit des victory gardens qui ont contribué à l’alimentation de millions de citadins pendant la Deuxième Guerre mondiale. Le mouvement Slow Food, qui appelle à l’éducation du goût des consommateurs et prône la consommation de produits locaux et de saison, rêve de transformer les friches industrielles et les cours de récréation en « paysages fertiles ». Il considère que l’agriculture urbaine constitue, du fait de la hausse du prix de l’énergie, le moyen de parvenir à un mode de vie durable dans les grandes villes.
Mais ces situations restent encore exceptionnelles et l’avenir de l’agriculture urbaine passera sûrement par une intégration des dimensions paysagères et esthétiques chères aux habitants des villes. (...)