
Haut-parleurs de combat, projecteurs sonores, canons à son, ultrasons répulsifs, engins détonateurs… tant de bijoux technologiques créés pour faire la guerre ou maintenir l’ordre. Comment le son est-il utilisé pour disperser des manifestations, contrôler l’espace public ou torturer des prisonniers ? Juliette Volcler dans son livre Le Son comme arme a mené une enquête minutieuse sur les coulisses de la « répression acoustique ». Interview.
À la fin des années 2000, des articles ont été publiés sur le sujet : la musique employée comme moyen de torture dans les prisons de la CIA, l’emploi d’un nouveau type d’arme « non létale » dans les manifestations, le LRAD (Long Range Acoustic Device) – vite labellisé « canon à son » par les médias –, l’usage du Mosquito, un émetteur de très hautes fréquences, pour chasser les « indésirables » de certains endroits. L’usage du son pour réprimer, contrôler ou torturer n’est pas neuf, mais la conjonction tout à coup de ces trois usages – en temps de guerre, dans le maintien de l’ordre et dans l’espace public – semble montrer des transformations des pratiques policières ou militaires. (...)
La diffusion de sons dans l’espace public est une pratique très ancienne. Mais les avancées technologiques de la seconde moitié du XXe siècle ont permis d’utiliser des haut-parleurs pour envoyer le son à longue distance, à fort volume, et pendant des heures voire des jours d’affilée. Et l’élaboration de la « torture psychologique » ou « torture blanche » a été conduite par un programme de la CIA, dans les années 1950 et 1960. (...)
C’est surtout à compter de la guerre du Vietnam que le son devient en tant que tel un instrument de combat. (...)
Les chercheurs et les militaires se sont beaucoup intéressés aux « effets extra-auditifs » du son : les vibrations qu’il peut produire sur d’autres parties du corps que l’oreille, ou les difficultés respiratoires et les légères nausées qu’il est susceptible d’occasionner à fort volume. En réalité, les dispositifs utilisés ont pour l’essentiel des effets auditifs : ils sont efficaces parce qu’ils sont insupportables (et dangereux) pour l’oreille. Ces armes ont également un atout considérable : le mélange de fascination et de peur qu’elles suscitent, largement alimenté par l’absence d’informations étayées sur leur fonctionnement. Et pour le pouvoir, elles offrent une option de plus dans les choix tactiques, et présentent aussi l’avantage d’être moins facilement critiquables que l’armement plus classique.
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Des recherches ont été menées pour rendre le son mortel. Des chercheurs allemands s’y sont employés sous le IIIe Reich, sans succès. La société la plus emblématique de cette recherche aux États-Unis, Sara, a également cherché à développer une arme modulable, pouvant induire des effets allant d’une simple gêne à la mort. Mais elle n’a pas davantage réussi.
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Le vrai intérêt militaire du son n’est pas dans son potentiel létal : les armes acoustiques sont surtout efficaces sur le plan psychologique, et sur le plan auditif.
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Un psychiatre a évalué que certains prisonniers de l’IRA soumis à ces techniques en 1971 étaient devenus psychotiques en quelques heures.
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Le dernier Livre blanc de la Défense évoque à peine les technologies sonores – comme outils de détection. La France a développé un savoir-faire sur les grenades incapacitantes, mais elle n’a pas porté la recherche et le développement dans le domaine acoustique. Les dispositifs en usage proviennent pour l’essentiel des États-Unis ou d’Israël.
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la direction générale de l’Armement reste sceptique sur la capacité d’acceptation de ce type d’armement par le public – tout en recommandant de continuer à suivre le dossier… (...)
L’association canadienne des libertés civiles (CCLA) a porté plainte en 2010 pour empêcher l’usage de LRAD par la police de Toronto au contre-G20,
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En France, il y a heureusement pour l’instant beaucoup de réticences, tant au niveau du public que de la classe politique.
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