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Reporterre
Quand les grands groupes tentent de bâillonner la presse
Article mis en ligne le 5 avril 2017

Au sein du collectif Informer n’est pas un délit, Reporterre participe à la journée de l’information indépendante. Une information menacée par la multiplication des « poursuites bâillons », procédures judiciaires menées contre les médias afin de les faire taire. Et qui concernent souvent des enquêtes sur l’environnement.

Les grands groupes, qui multiplient les poursuites judiciaires contre les médias et les journalistes, menacent la liberté de la presse. Si, le plus souvent, le plaignant perd son procès, le mal est fait : l’énergie, le temps et les fonds dépensés par le média à se défendre l’affaiblissent d’autant plus que sa taille est réduite et ses moyens, limités.

C’est du Québec que nous vient le terme de « poursuite-bâillon » pour décrire ce phénomène des poursuites judiciaires destinées à bâillonner la presse indépendante, mais aussi les lanceurs d’alerte.

Outre-Atlantique, les premières poursuites-bâillon ont fleuri dans le domaine environnemental. (...)

En France, les poursuites-bâillons se multiplient depuis quelques années. Le procès en diffamation du groupe Bolloré contre nos confrères de Bastamag est emblématique d’un industriel qui ne souhaite pas que ses activités camerounaises soient étalées dans la presse. (...)

Victoire pour la presse, mais à quel prix ? Cette procédure aura coûté entre 10.000 et 20.000 euros et une deuxième est toujours en cours d’instruction. « Non seulement les journalistes sont attaqués, mais aussi des lecteurs qui relayent les articles sur leur blog, explique Agnès Rousseaux, journaliste à Bastamag. Ça a un effet dissuasif très fort. » Et les conséquences financières et humaines sont en effet importantes. (...)

Le cas le plus célèbre est sans doute celui de Denis Robert, qui a enquêté durant les années 2000 sur les activités de la banque Clearstream. À la suite de la publication de ses enquêtes et de ses ouvrages, la Boîte noire, Révélations et de son film les Dissimulateurs, il a essuyé 63 procédures judiciaires dans cinq pays différents (...)

Bertrand Gobin, journaliste indépendant, a publié en 2010 sur son site web un article sur le passé collaborationniste d’Édouard Leclerc durant la Seconde Guerre mondiale. Lorsque l’information a été reprise par deux autres publications, l’industriel a porté plainte. Après sa mort fin 2012, ses héritiers n’ont pas maintenu les poursuites. (...)

En 2015, le journal satirique de Grenoble le Postillon publie un article sur la gestion des ressources humaines de la métropole. Un des élus porte plainte pour diffamation. (...)

Malgré les sommes que représentent ces procès en diffamation et le temps consacré à la préparation du procès, aucun des journalistes contactés ne regrette ni n’a mis de côté son travail d’enquête. (...)

Pour Bertrand Gobin et Denis Robert, journalistes indépendants, les conséquences se ressentent essentiellement sur le temps consacré à préparer leur défense. Comme l’explique Denis Robert : « Même si, à la fin, je gagne, ils ont réussi leur coup : car le temps passé à me défendre, je ne l’ai pas passé à enquêter et surtout, ça fait peur à l’ensemble des journalistes. » (...)

Pour l’avocat spécialisé dans le droit de la presse Basile Ader, il faut défendre la presse en tant que « chien de garde de la démocratie », formule utilisée par la Cour européenne des droits de l’homme. « La loi de 1981 sur le droit de la presse est une bonne loi, très protectrice. Elle est régulièrement remise en cause, il est nécessaire d’être vigilants sur ce point. »

En effet, le projet de loi sur le secret des affaires qui avait pour but de lutter contre l’espionnage industriel, et par effet de ricochet d’empêcher les médias d’enquêter sur les activités des entreprises, a été repoussé, mais pourrait revenir sur le devant de la scène. (...)

En Californie et au Québec, les textes de lois qui cassent des procédures en diffamation, car jugées abusives, se focalisent sur la liberté de circulation de l’information et du débat public, regroupant par la même occasion sous la même coupe lanceurs d’alerte et médias. Ce qui n’est pas le cas en France ni en Europe. (...)

Me Ader estime qu’avec la loi Sapin 2 sur la protection des lanceurs d’alerte, nous allons dans le bon sens. Mais des parlementaires tentent régulièrement de détricoter la loi sur le droit de la presse de 1981.