
Un troupeau de chèvres arpentant les rues de Paris et de Bagnolet en quête de pâturages. Des légumes en bas des immeubles. Des ateliers manuels avec les jeunes du quartier. Ce sont quelques unes des activités proposées par l’association Sors de Terre, installée depuis huit ans à Bagnolet, en Seine-Saint-Denis.
Au milieu du béton, un lieu où se déconstruisent les concepts de politiques publiques et s’ouvre le champ des imaginaires, menacé par une opération de rénovation urbaine du quartier. Reportage en photos et vidéo de Side-Ways.
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Pour faire manger les chèvres, il les amène pâturer dans les allées, les friches qui se situent dans les environs. À l’improviste, les gens du quartier le rencontrent, discutent et la présence des animaux délie les langues. On caresse les chèvres, on parle de souvenirs, du quartier, certains rebroussent leur chemin...« Il y a des choses que je n’aurais pas anticipées, comme tous ces gens qui ont été bergers, qu’ils viennent d’autres régions de France ou d’autres pays, serbes, kabyles, espagnols, maliens... Ça paraît logique, mais tu n’y penses pas. »
De retour à la bergerie, après la sortie des écoles, les enfants arrivent, seuls ou accompagnés, ils jouent, les parents leur racontent des histoires, leur histoire parfois, ils découvrent les animaux. De temps en temps, de manière spontanée et en fonction des besoins et des envies de chacun, Lucas ou Gilles proposent des activités. « Il y a un truc qui est posé ici, qui s’apparente à du respect. Un mélange entre respect et fantaisie, le respect de la fantaisie, dans un univers assez normé, et dans un quartier où comme partout, ça se saurait si la fantaisie était la règle. » (...)
La bergerie est le lieu principal de l’association, où se trouvent le jardin potager et les animaux. Elle est ouverte à tous quand un membre de l’association est là et que la porte est ouverte. Il n’y a pas d’horaires spécifiques, ils se modifient en fonction des multiples activités qui se développent au fur et à mesure des opportunités et des propositions. Ainsi, plusieurs fois par semaine, des ateliers organisés avec les structures éducatives et médico-pédagogiques ont lieu sur place avec des groupes d’enfants ou des adolescents handicapés. (...)
Un peu plus loin, à une centaine de mètres de la bergerie, des prés ont été construits avec les habitants entre deux barres d’immeubles. Cet espace avait été délaissé par la municipalité. Aujourd’hui, les brebis y pâturent régulièrement. Lucas et Gilles entretiennent les alentours : tonte des pelouses, taille des arbustes, etc. La présence des animaux et le fait que le lieu ait été rendu plus agréable a permis de réactiver cette parcelle qui n’était presque plus fréquentée.
À la suite de différentes propositions, le travail de gestion des espaces verts est une activité qui se développe au sein de l’association, avec une conscience différente de celle dont on a l’habitude. L’un de leurs contrats, à Bobigny, est lié à une résidence d’une dizaine d’immeubles, avec deux hectares d’espaces verts. Ces derniers étaient gérés jusque-là de manière classique : pelouses, arbustes taillés de manière identique, etc. D’un commun accord avec le bailleur, ils reprennent en main les îlots un à un, en leur donnant une identité, modifiant ainsi les lieux afin qu’ils puissent être réinvestis.
« Ce que nous proposons, c’est une gestion écologique et sociale, précise Lucas. (...)
L’opération de rénovation urbaine du quartier des Malassis à Bagnolet est en cours. La bergerie actuelle doit disparaitre en 2018.
Les habitants sont prêts à s’engager pour que l’actuelle reste à sa place, et qu’elle ne soit pas remplacée par une bergerie municipale sur un autre terrain. Certains ont même créé une pétition de soutien, indépendamment des membres de l’association. De leur côté, après une longue période de réflexion et suite à un dernier rendez-vous très décevant avec le maire, ces derniers ont décidé de prendre leurs responsabilités vis-à-vis des habitants et de leur projet en relançant une pétition. Elle a pour objectif de préserver l’indépendance de la future bergerie, qui ne peut pas devenir municipale sans vider l’initiative de son essence.
Une chose est sûre, si elle se lance dans ce combat, l’association ne le fait pas uniquement pour défendre ses propres intérêts. La discussion ne portera pas que sur la bergerie en elle-même : il n’est pas question d’être "l’arbre qui cache la forêt". La mairie doit prendre en compte les besoins réels des habitants dans leur ensemble. La question n’est pas tant une question d’argent que de la manière dont il est alloué. (...)
« C’est possible qu’il y ait un mec qui se balade avec un petit troupeau de chèvres dans les rues de Bagnolet, dans les rues de Paris, n’importe où. Donc j’aime bien me dire que si ça c’est possible, ça rend d’autres choses possibles aussi. En fait, ici, tout serait possible. »