
"Problemos », première œuvre de cinéma grand public à parler de la Zad, a été réalisé par le comique Éric Judor. Une comédie que Reporterre est allé voir avec un habitué de la Zad de Notre-Dame-des-Landes, pour confronter expérience et fiction. (...)
Dans Problemos, Victor et Jeanne, deux jeunes Parisiens accompagnés de leur petite fille font escale dans une « Zad » pour saluer leur ami Jean-Paul. Installés avec une communauté sur une petite prairie, ils combattent la construction d’un parc aquatique dans une zone humide. Un matin, ils s’aperçoivent que le reste du monde a disparu et qu’ils sont les seuls survivants d’une pandémie mondiale. Toute la question est alors de savoir comment la communauté va s’organiser dans ce nouveau monde.
Loin des comédies franchouillardes lourdingues à la Dany Boon, Éric Judor est connu pour des productions plus singulières — il n’y a qu’à voir sa série Platane. D’autant plus que pour Problemos, les auteurs se référent pêle-mêle à Podemos, aux Zad et à Nuit debout… il n’en fallait pas plus pour attiser notre curiosité. (...)
Et nous n’avons pas été déçus. Bien sûr, le film reste éloigné de la réalité en ce qu’il présente la Zad comme une sorte de bizarre colonie de vacances. Mais il aborde de nombreux thèmes qui sont matière à discussion comme l’autorité, le capitalisme, le sexisme, l’exclusion, etc.
Premier verdict : « une comédie moyenne », selon Camille. « Le seul truc fidèle à la réalité, c’est le fait que les zadistes veulent construire autre chose. Après, leur image est souvent ridiculisée. Ce n’est pas un film d’abrutis, mais les idées ne tiennent pas la route. D’ailleurs, le film se contredit. À partir du moment où le reste du monde disparaît, un personnage explique aux autres qu’ils vont enfin pouvoir “vivre comme ils l’entendent”. Mais, c’est déjà supposé être le cas ! Sur la Zad, la révolution se passe déjà. »
« On nous dit que le capitalisme serait naturel »
Un film forcément empreint de clichés, selon lui mal exploités. Un exemple : dès que le couple arrive sur la Zad, leur ami leur demande de laisser leurs portables dans une boîte, à la fois pour se détacher matériellement de l’objet, mais aussi parce que des personnes électrosensibles vivent sur le camp. « Ce dernier cas peut arriver. Mais, plus généralement, si on ne veut zéro téléphone dans certains endroits, c’est pour des questions de surveillance policière. Et ça, le film n’en parle pas. » Autre exemple : l’une des adolescentes de la colonie est persuadée d’être dans une émission de téléréalité. « Ce fétichisme est pointé du doigt… jusqu’à ce que le personnage d’Éric Judor essaie de s’en servir pour coucher avec. Le potentiel artistique est invalidé. » (...)
Camille reconnaît quelques passages bien sentis dans le film, comme lorsqu’un élu écologiste moustachu apparaît devant le cordon de CRS pour exhorter les zadistes à exprimer leur mécontentement dans les urnes plutôt que via leur lutte. « C’est plutôt juste, cette image du type qui débarque de derrière les fourrés et qui symboliquement se trouve, à l’écran, du côté des policiers, note Camille. Après, à la Zad, il y a une diversité des approches : certains sont légalistes [ils prônent l’action dans le cadre de la loi, par les urnes, par exemple], d’autres non. »
« L’autre chose que je reconnais, ce sont les ateliers que l’on voit dans le film, sur la question du sexisme ou des règles… Après, les femmes en discutent entre elles [dans le film, les hommes assistent aussi aux échanges]. Mais les féministes sont caricaturées comme des castratrices avec des velléités de pouvoir », note Camille.
Le problème selon lui réside dans le message du film. « On nous dit que le capitalisme serait naturel et que “naturellement”, nous construisons nos enclos, nous reproduisons des rapports de domination. » Ce parti-pris est assumé par les auteurs. La question est présente dans le film notamment à travers le personnage de Simon, mis en quarantaine par le reste de la communauté. Profitant de sa retraite solitaire, il s’aménage une cabane équipée de tout le confort moderne à deux pas de la prairie.
En creux, c’est aussi la question de l’autorité qui est posée (...)
Y a-t-il une inclination naturelle à reproduire des rapports marchands ? Camille reconnaît que ces débats traversent toujours la Zad. « À Notre-Dame-des-Landes, il y a le “No Marché”, où ceux qui produisent les choses sur la Zad peuvent mettre à disposition leur production, à prix libre. Certains considèrent ça comme capitaliste. » (...)
la fiction tranche et fait de ses personnages des êtres trop hétérogènes pour prendre des décisions collectives. « Alors qu’à Notre-Dame-des-Landes, tu peux avoir 600 personnes en AG et c’est plus efficace qu’à l’Assemblée nationale, raconte Camille. Plus généralement, la conflictualité, ça existe sur la Zad. Mais ça fait avancer les choses. Or, dans le film, il ne ressort généralement pas grand-chose de ces situations. »
Lui préfère un autre film pour représenter le combat de Notre-Dame-des-Landes : le Domaine des dieux, le dernier Astérix réalisé par Alexandre Astier. « C’est un promoteur romain qui veut imposer son hôtel sur le lieu de vie des Gaulois, qui vont résister à l’envahisseur. C’est clairement une référence à la Zad ! » L’opération policière de 2012 visant à déloger les zadistes s’était d’ailleurs appelée « l’opération César », comme le rappelle Camille. « Et, en plus, ils s’étaient donné le nom des perdants ! »