La guerre qui a déchiré la Bosnie dans la première moitié des années 1990 a fait plus de 100 000 morts. Le pays a été séparé en deux entités, République serbe de Bosnie et la Fédération de Bosnie-Herzégovine. Elles se partagent le territoire 50 / 50, mais la population est plus nombreuse du côté de la fédération dont 48 % de bosniaques, 37 % de croates et une minorité de serbes. Aujourd’hui, après des décennies de plans d’ajustement structurel sous l’égide du FMI, de la Banque mondiale et de l’Union européenne, le taux de chômage est de 45%.
Les révoltes populaires de ces dernières années en ex-Yougoslavie n’ont pas été médiatisées et le sujet n’est pas d’une actualité brûlante. Il se passe pourtant beaucoup de choses qui méritent notre attention. Les luttes de 2014 ont démarré par des émeutes, parfois violentes. Cette révolte populaire a réveillé le mouvement ouvrier qui a poussé les jeunes à s’organiser pour porter la lutte à un autre niveau : contre les politiques d’austérité imposées par la Troïka aux États de l’Union Européenne.
Des assemblées populaires (plénums) ont été créées, elles regroupaient des étudiants, des chômeurs, des ouvriers, des pensionnés...
Dans ce contexte, le CADTM s’est mis en relation avec les mouvements sociaux de la région. (...)
Andreja montre la toxicité de l’idéologie européenne en général, et particulièrement comment elle a influé sur la désintégration de la fédération Yougoslave, et entretient le status quo dans une logique néo-coloniale. Il expose également les raisons de l’adhésion de la gauche socio-libérale à l’idéal de l’intégration dans l’UE.
Tijana parle des luttes actuelles notamment au sein du syndicat dont elle est membre. Le mouvement des assemblées populaires (plénum) est d’une grande mixité sociale. Le carcan de l’UE est puissant, aux niveaux des politiques menées et des mentalités. La Bosnie est clairement une colonie de l’UE. L’absence d’alternative non réactionnaire à l’intégration dans l’UE est préoccupante, c’est là que doit se positionner la gauche. (...)
Après ce qui s’est passé en Grèce en 2014-2015, la gauche progressiste commence à employer les termes de néo-colonialisme ou d’impérialisme de la part de l’UE, États du centre et États de la périphérie. L’UE organise la compétition entre les États, et bénéficie aux États les plus puissants. Parmi les mécanismes à l’œuvre : le déficit commercial des États de la périphérie conduit les banques des États du centre à prêter largement pour maintenir l’activité économique de la périphérie.
Impérialisme économique et géopolitique sont en effet les termes appropriés pour qualifier la politique de l’UE à l’égard de ses membres et de l’extérieur. La gauche européenne s’accorde maintenant sur le fait que les politiques d’austérité imposées par la Troïka aux États de la périphérie ont pour objet de payer les dettes des États les plus puissants du centre. Consensus également sur le fait que la BCE n’est rien de plus qu’un appendice de la Deutsche Bank…
L’UE se présente comme un pouvoir nouveau, normatif, dépassant les pouvoirs nationaux, fondé sur les valeurs de Démocratie, Droits de l’Homme et Solidarité ainsi que sur le mythe des origines (Pacification après la guerre 1939-45). C’est oublier le fait que l’UE a été créée à un moment où elle constituait la résultante des intérêts particuliers nationaux. Alan Milward, historien des origines de la CEE, défend l’idée que loin de transcender les conflits nationaux, la CEE leur a donné une nouvelle forme et un nouveau mode d’existence : l’intégration économique pour le sauvetage des États-nations. L’idéologie européenne offre un cadre dans lequel les rivalités nationalistes et impérialistes des États-nations et des entreprises nationales et multinationales s’expriment en termes de différentes visions du projet d’intégration. D’autre part, l’UE permet à ses membres les plus puissants de jouer un rôle au niveau mondial.
L’idéologie européenne est donc une idéologie nationaliste, le supranationalisme étant en définitive une forme de nationalisme. La fonction de cette idéologie est de réconcilier l’abysse entre le but et l’état actuel des choses – intégration monétaire et non politique, inégalités entre les nations et déficit démocratique structurel. Elle qualifie d’irrationnel, populiste et nationaliste tout velléité de rupture avec l’UE ou avec ses traités, qui conduirait inéluctablement d’après elle à la guerre et au fascisme. Le terme nationaliste est dès lors réservé à ce qui se fonde sur la détresse populaire et sur les limites à l’intégration : mouvements racistes, défense de la souveraineté nationale, séparatisme. (...)
Étrange répétition du passé : l’UE et le FMI défendent ardemment aujourd’hui la recentralisation, comme complément nécessaire des réformes économiques néo-libérales imposées en Bosnie-Herzégovine. Ces réformes sont des pré-requis à la poursuite de l’intégration européenne. Comme par le passé, les néo-libéraux se lamentent du « gros gouvernement », du fardeau excessif qu’il impose à l’économie, empêchant l’avènement d’un marché susceptible d’attirer les investisseurs étrangers. Et tandis que comme dans les années 1980, les politiciens nationalistes sont des supporters fervents des réformes du marché, ils se divisent sur la recentralisation des pouvoirs fiscaux. Dès lors la question de l’intégration économique avec l’UE s’exprime sous la forme de luttes nationalistes.
Pris dans la globalité, le contexte régional néo-colonial fait barrage à toute solution aux conflits nationalistes et renforce une politique économique de la dette et de l’austérité, identique à celle de la périphérie de l’Eurozone. En d’autres termes, la gauche est confrontée à plusieurs questions d’urgence nationale : du problème de la crise de la dette aux questions de libérations nationales et d’autodétermination.
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