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Quoi pleurer. Pour agir après le 7 janvier et voir sourire le jour
Article mis en ligne le 8 février 2015
dernière modification le 5 février 2015

« Le fond du problème, ce n’est pas l’intégration de tel ou tel en fonction de ses origines, de ses appartenances, mais bien l’intégration (...) de tous les Français à leur République déficiente. Car ce à quoi nous assistons c’est à un processus de désintégration du tissu social sous les coups d’une économie néo-libérale laissée toute-puissante. »

Qui pleurer, on sait.

Malheureusement, on sait.

Maintenant, on se demande, il est question de : « Et maintenant ? ».

Il était temps. Aura-t-il fallu « ça » ? Est-ce que « ça » suffira ? Est-ce qu’avec le recul on pourra dire qu’au moins, « ça » aura servi à « ça » ?

« Ça », le deuxième « ça », c’est le changement, le vrai, ce que certains nomment la « Transition ». On objectera : quel rapport ? Oui, quel rapport, c’est bien lointain tout ça, c’est limite tiré par les cheveux, quel peut donc bien être le lien entre les attentats et la Transition ? (...)

Avec Hugo

Il est pourtant évident. Il se nomme reconnexion. L’enjeu, c’est de recoller au réel. Ou pas. C’est de sortir du délire qui nous ronge en fait massivement, depuis longtemps, et qui se manifeste sporadiquement mais quand même, de plus en plus souvent. La vraie question, c’est de déterminer, c’est-à-dire de dessiner et de décider, le scénario d’après les spasmes et la douleur.

Récemment, le Un a publié, dans le dossier « Que dire à nos enfants ? », la réflexion de Victor Hugo après la visite d’un bagne voici plus de 150 ans. Il est à supposer que cette publication signifie la recherche, dans notre passé, auprès d’un grand esprit doublé d’une plume magistrale, de ressources pour comprendre et agir après les évènements du 7 janvier 2015. On s’appuiera donc sur ce magnifique poème pour proposer notre propre éclairage de cette crise et, partant, des issues possibles.

Pédagogie et service public de santé

Le propos principal de ce texte repose sur une foi immense dans le progrès permis grâce à l’usage de la raison, laquelle trouve - enfin... doit trouver - un lieu et des temps de développement à l’école. D’où, d’emblée, des vers ayant valeur d’adages comme :

« Chaque enfant qu’on enseigne est un homme qu’on gagne. / (...) Où rampe la raison, l’honnêteté périt. »

Soit. C’est un fort acquis philosophique des Lumières que la République française a ensuite repris à son compte pour faire de l’Education Nationale l’un de ses piliers.

Toutefois, il est frappant de constater combien la crise actuelle n’est appréhendée qu’en termes rationalistes. Il est normal de réfléchir dans son cadre de pensée habituel. Or le cartésianisme est le nôtre. Il est tout aussi légitime de vouloir se rassurer, rester comme on dit dans sa « zone de confort ».

Cependant, vouloir expliquer rationnellement certains passages à l’acte, en particulier par la recherche de causes sociologiques, peut s’avérer limité et faux. On ne peut en effet écarter l’hypothèse d’actions irrationnelles proprement humaines, comme il s’en déroule d’ailleurs tous les jours depuis longtemps et sans doute pour encore longtemps. Voir, entre autres, le nombre de femmes gisant sous le coup de violences conjugales avec le chiffre effarant d’un décès tous les trois jours dans un pays réputé développé, civilisé, etc.

Certes, cette dimension incontrôlée, incontrôlable, dérange car elle fait descendre l’humain de son piédestal, complexifie le regard et donc la solution. Mais oui, enfin non : la raison et l’éducation ne peuvent pas tout. On ne pourra jamais empêcher une certaine folie d’opérer.

Donc, oui à la pédagogie, mais oui aussi au service public de santé qui peine, comme tous les services publics en général. Et oui à la pédagogie à condition de redonner aux enseignants et à tous les travailleurs du système éducatif un niveau de vie, un statut social et une autorité à la hauteur de leur ardue et noble mission.

Ne plus se considérer hors

Les alexandrins s’enchainent, péremptoires et superbes. On tombe alors sur :

« La nuit produit l’erreur et l’erreur l’attentat. / Faute d’enseignement, on jette dans l’état / des hommes animaux, têtes inachevées, / tristes instincts qui vont les prunelles crevées, / aveugles effrayants, au regard sépulcral, / qui marchent à tâtons dans le monde moral. »

S’élever. Et même plus : s’extraire. Il s’agirait - par l’éducation et la culture dans son ensemble - d’échapper à notre part animale, synonyme de pulsions négatives et d’inachèvement.

L’idée, devenue rengaine, triste, fausse et fatale rengaine, d’une humanité se considérant à part. Comme si on devenait véritablement humain en se coupant d’une chose sale, incarnée par d’autres êtres vivants au passage exploités parce qu’inférieurs.

Tout ce montage intellectuel est bien joli, séduisant, profitable d’un certain point de vue, mais il est erroné et coupable. (...)

A bien y réfléchir, on se demande comment la terre peut encore tourner, comment encore respirer l’air dans la mince, si mince couche d’atmosphère où se déroulent à chaque seconde de véritables atteintes au vivant. Et ne nous y trompons pas : l’espèce qui commet ces crimes ne peut moralement, psychologiquement, en sortir indemne. (...)

Négliger notre part animale, c’est continuer dans l’impasse. C’est ne pas se voir comme nous sommes. C’est à tout prix vouloir gommer l’évidence quitte à s’amputer. C’est être fou à force de fantasmes. C’est crever d’un bien sombre idéalisme. C’est être de plus en plus connecté mais hors sol, profondément hors sol. C’est renoncer par peur. C’est ne pas être à la hauteur. C’est ne pas affronter ce qui est aussi notre richesse, comme si les instincts n’étaient pas également des émotions, de la spontanéité et de la créativité. C’est une hérésie. (...)

Changer de regard, changer de pratiques, ne plus se considérer hors, au-dessus. Cette piste peut s’appliquer à tous les domaines, chez tout un chacun et dès à présent, très simplement. Une chose est certaine : nous sommes trop loin, sur les plans physique et mental, de la nature. (...)

Cela fait belle lurette qu’il n’y a plus de pilote dans l’avion, ou alors pas ceux que l’on croit et que l’on nous présente : le personnel politique. Et dans cette casse, tous sont responsables, gauche et droite confondues. Tous ceux qui se succèdent au gouvernement depuis des décennies. Ces décennies du mensonge, de l’incurie, des renoncements grands et récurrents.

On nous a parlé du chômage conjoncturel puis structurel. On nous a parlé de précarité puis de pauvreté. C’est une véritable honte, doublée d’une trahison. Les gouvernants ont bien de la chance, en un sens, que les classes moyennes soient (encore) bien élevées car sinon tout deviendrait ingérable et l’inconsistance de l’édifice manifeste.
(...)

Il serait peu judicieux de compter trop longtemps sur la peur, le silence et l’apparente résignation des « bons élèves de la classe ». Même la tête basse, tous restent des Français et la révolte n’est jamais loin. Ce n’est pas une légende : c’est juste une donnée historique qu’il ne faudrait pas négliger.

Par conséquent, dans des conditions et un climat à ce point nihilistes, le démocratique et le social de notre République étant en panne bien que constitutionnellement consacrés, c’est sans surprise qu’il souffle sur l’indivisible et le laïque un vent mauvais.

Certes, l’intégrité territoriale compte tout autant que maintenir un espace public - incarnation du politique - areligieux. Mais il va falloir ne pas être dupes et ne plus vouloir duper. Le défi est bien de remettre l’économie à sa place, soumise au politique et à l’humain.

Le défi est un changement de paradigme que l’on peut, si l’on veut, appeler « l’économie alternative ». Il ne faut pas avoir peur. Cela signifie juste de revenir les pieds sur terre (...)

Qui pleurer, on sait. On situe.

Quoi pleurer, on sait moins, c’est plus diffus.

C’est énorme. Surtout, on voudrait ne pas voir. Le labeur est trop colossal. Et pourtant il le faut, au risque de commettre le crime suprême, celui de n’avoir rien fait de notre humaine condition.