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Mediapart
Ramadan : des élèves musulmans fichés illégalement par des établissements scolaires
Article mis en ligne le 7 mai 2022

Mediapart a constaté que de nombreux établissements exigent que les élèves fournissent un justificatif précisant qu’ils suivent le ramadan pour obtenir un remboursement de la cantine scolaire. Cette pratique est pourtant totalement proscrite.

Les motivations de ce fichage sont louables mais clairement illégales. Comme chaque année avant la période du ramadan, la plupart des établissements scolaires permettent aux familles de ne pas payer la cantine scolaire le temps que dure le jeûne confessionnel, à savoir un mois pour les musulmans.

Pour chaque établissement, les règles liées au remboursement des cantines scolaires, les remises d’ordre, sont en effet très contraintes. Elles dépendent des gestionnaires des restaurants scolaires ou parfois des collectivités territoriales. Dans la plupart des cas, il y a deux types de remboursement possibles. Les remises de plein droit lorsque c’est l’établissement qui n’est pas capable d’assurer le service par exemple ou lorsqu’un élève est exclu ou change d’établissement. Et les remises accordées sous conditions (qui exigent un justificatif des parents). Ces dernières sont octroyées en cas d’absence prolongée pour maladie par exemple ou lors du suivi d’un jeûne prolongé lié à la pratique d’un culte.

Mediapart a toutefois constaté que de nombreux établissements exigent des familles qui souhaitent le remboursement de la cantine lors des périodes d’absence liées à un culte qu’elles produisent un justificatif précisant explicitement le motif. (...)

Contacté par Mediapart, le conseiller principal d’éducation (CPE) d’un grand établissement dans l’est de la France raconte avoir découvert « par hasard » que ses élèves musulmans avaient l’obligation de produire un document intitulé « Remise d’ordre pour ramadan » afin d’obtenir un remboursement. « J’ai été choqué d’apprendre par inadvertance que mon lycée, public et laïc, pratiquait, sous couvert de bonne gestion, le fichage de fait des élèves musulmans », explique-t-il à Mediapart.

En plus de ces justificatifs demandés, de nombreux établissement inscrivent noir sur blanc cette exigence dans les règlements intérieurs (souvent accessibles sur Internet). Même les collectivités territoriales les relaient parfois.

La Région Bretagne, par exemple, vient de diffuser un document à tous les lycées bretons précisant les règles de gestion des services de restauration. Elle précise l’un des motifs de remboursement : « Pratique d’un jeûne prolongé lié à la pratique d’un culte, à condition de prévenir 15 jours minimum avant le début et d’en préciser la fin (les absences “perlées” ne donneront pas lieu à remise d’ordre) », peut-on lire. (...)

Cinq ans de prison et 300 000 euros d’amende

Cette pratique ancienne et qui perdure est pourtant totalement proscrite. La loi relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, d’abord, interdit la collecte ou le traitement « des données à caractère personnel qui font apparaître directement ou indirectement [...] les opinions religieuses des personnes ». Le fait, « y compris par négligence », de procéder à ce genre de collecte est d’ailleurs puni de cinq ans de prison et de 300 000 euros d’amende. Or les établissements publics conservent les archives deux ans durant en cas de contrôle financier.
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Depuis décembre dernier en outre, l’Éducation nationale a diffusé à tous les établissements un vade-mecum intitulé « La laïcité à l’école » qui est encore plus clair sur le sujet. « Il convient de rappeler que la sollicitation par les gestionnaires d’établissement, les collectivités de rattachement ou les prestataires de restauration scolaire tendant à savoir si “au titre de la pratique d’un jeûne cultuel” un élève “fera le ramadan” ou “le carême” ou non doit être strictement prohibée », peut-on lire à la page 67 du livret. (...)

« La seule mention des dates de l’absence, à fournir par les parents, doit suffire. En effet, le contrôle du comptable se limite à vérifier la concordance entre le motif invoqué par les parents et ceux autorisés par la collectivité ou l’EPLE [établissement public local d’enseignement – ndlr]. » Et de préciser : « Cette règle est générale. Elle vaut pour toutes les demandes de ce type et quel que soit le culte concerné qu’il n’y a en aucun cas lieu de mentionner ou de caractériser par telle ou telle pratique religieuse. » (...)

Le ministère reconnaît un manque de « pédagogie » sur le sujet

Comment expliquer que de très nombreux établissements fichent encore les élèves poursuivant un jeûne religieux ? « Les choses sont clairement définies dans le vade-mecum. C’est le temps de latence entre la diffusion d’un document et des consignes qui sont très claires », précise-t-on au ministère : « Il faut qu’on fasse encore un peu plus de pédagogie. Finalement, vous nous alertez. »

Interrogée par Mediapart, la Cnil dit « avoir eu à connaître du sujet des remises d’ordre au regard des pratiques religieuses » (...) « Il est important de rappeler que la collecte des données dans ce cadre ne peut conduire à un fichage des élèves selon leurs convictions religieuses ou philosophiques », ajoute-t-elle. (...)