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Réflexion sur la guerre d’Ukraine
Article mis en ligne le 27 février 2022
dernière modification le 26 février 2022

Avec le déclenchement de la guerre en Ukraine, des questions se posent. Essayons d’avoir une vision large de l’évènement.

L’armée russe peut elle réussir sa conquête de l’Ukraine ? Et qu’en fera-t-elle ?

La géographie tout d’abord.

L’Ukraine n’est pas la Géorgie, ni la Tchétchénie et encore moins la Syrie.

L’Ukraine est un pays d’environ 600 000 km², comparable à la France dans sa superficie. Elle compte un peu moins de 50 000 000 d’habitants.

Occuper un territoire aussi vaste et plus encore l’administrer n’est pas chose aisée. On a vu durant la guerre de Géorgie que si la Russie a pu prendre position sur une partie du territoire internationalement reconnu de la Géorgie c’est parce qu’elle s’appuie sur des entités séparatistes qui disposent d’une administration et sur une population qui peu ou prou est favorable à la présence russe.

C’est très différent de l’Ukraine.

Bien qu’une partie du Donbass soit favorable à la présence russe, le reste du pays à un fort attachement patriotique qui invalide la thèse du « faux pays » artificiellement créé. Même chez les russophones ukrainiens ce sentiment existe.

Cela ne veut pas dire que les Ukrainiens n’aient aucun sentiment de proximité et d’amitié avec le peuple russe, cependant il semble clair qu’il souhaite majoritairement son indépendance et pour certains cette indépendance passe par un rattachement avec le camp occidental, d’où la volonté d’intégrée l’OTAN et l’UE à terme.

La guerre, plutôt que de rapprocher les Ukrainiens d’avec la Russie va au contraire durablement créer un fossé politique. (...)

La population russe, gavée de propagande mensongère sur la « nazification » de l’Ukraine, l’illégitimité du gouvernement de Kiev et sur la prétendue attente de libération des Ukrainiens vont se réveiller avec stupeur (pour celles et ceux qui croient).

La résistance de l’armée ukrainienne et la fuite de la population sont la démonstration que les ukrainiens n’attendaient pas une quelconque libération. Les soldats russes seront les premiers à s’en rendre compte. (...)

À noter que la population russe est habituée à ne pas croire la propagande, les sondages qui démontrent le soutien de la population russe à son gouvernement sont à prendre avec circonspection.

La proximité culturelle entre ces deux peuples slaves de l’est est plus une contrainte pour l’armée russe qu’un avantage dans ce contexte. (...)

Les précautions que prennent visiblement les Russes à éviter les victimes civiles la contraint dans son invasion (des victimes civiles des à des bombardements sont a déploré, l’armée russe ne réussit pas à les éviter, comme aucune armée d’ailleurs).

L’armée russe semble toujours éviter d’entrer massivement dans les villes, à la fois car c’est dangereux militairement et également car c’est l’assurance de victimes civiles très importante, ce qui est politiquement dangereux pour le Kremlin.

L’autre point concernant les conditions de l’invasion c’est la résistance de l’armée ukrainienne. (...)

elle se bat, son moral n’est pas affecté et elle ne fait pas défection, son patriotisme semble entier.

La population civile ukrainienne dispose d’un repli vers l’UE. La Pologne et la Roumanie s’organisent pour accueillir les réfugiés et elles bénéficient du soutien de l’Europe de l’ouest en la matière. Cela permet aux combattants ukrainiens de continuer à se battre sans le poids de centaines de milliers de réfugiés et de soulager l’Ukraine de la prise en charge de déplacés intérieurs. Bien qu’à ce stade il est trop tôt pour savoir si ce sera tout à fait efficace.

L’Ukraine peut-elle être durablement occupée ?

Cela semble difficile, tant la population ukrainienne refuse la vassalisation ou même l’annexion par la Russie. Cette dernière pourrait se retrouver dans une situation à la syrienne. La Syrie occupait militairement la Liban durant plusieurs années et a fini par rapatrier ses troupes sous la pression de l’opinion libanaise.

Si le Kremlin vise véritablement le changement de gouvernement et qu’il y réussit, combien de temps cela va-t-il tenir ? (...)

En attaquant Kiev, le Kremlin cherche à faire tomber le gouvernement ukrainien mais les autres mouvements montrent une volonté de contrôler la rive gauche du Dniepr, le fleuve qui sépare l’Ukraine en deux, et peut-être également le contrôle d’Odessa au-delà du Dniepr et ainsi faire la jonction entre le Donbass, la Crimée et la Transnistrie. Ce qui permettrait de dégager la Crimée et le Donbass de leur dépendance d’avec le reste de l’Ukraine pour leurs ravitaillements en eau douce et en électricité.

Encore une fois, si l’on considère que la majorité de la population souhaite son indépendance en tant que nation ukrainienne c’est une opération compliquée. L’exemple Criméen ne me paraît pas reproductible. On a certes critiqué à juste titre la tenue du référendum sur le rattachement à la Fédération de Russie, qui s’est déroulé dans des conditions non conformes au droit, mais même si cela avait été le cas, on peut imaginer que le résultat n’aurait pas été très différent.

Il faut noter que l’attachement du Donbass et de la Crimée n’est pas une uniquement dû à un sentiment d’appartenance au peuple russe mais également à des liens économiques avec la Russie qui existaient antérieurement à 2014.

La situation est différente pour le reste de l’Ukraine. Je le répète, même parmi celles et ceux qui sont attachés à la relation avec le peuple russe, le sentiment d’être Ukrainien existe et les discours sur le long court de l’histoire du pays servant à expliquer que l’Ukraine n’est qu’une construction artificielle n’y changeront rien. Toute nation est un produit de l’histoire humaine, l’Ukraine ne fait pas exception.

De plus, le contrôle ou l’annexion de la rive gauche du Dniepr rend le reste de l’Ukraine dépendant de la Russie pour son eau potable et son électricité et la coupe de terre à blé parmi les meilleurs du monde. Ce qui la place dans une situation intenable et inacceptable pour son indépendance.

L’occupation pourrait avoir un bilan humain terrible pour l’armée russe et le peuple ukrainien si une guerre de guérilla couplée avec une résistance de l’armée ukrainienne pourrissait la situation militaire. (...)

aucune révolution ne peut durablement tenir si elle ne bénéficie pas d’un soutien dans la population.

Or, on ne peut que constater que l’aspiration à la liberté, à la prospérité et à la dignité contre des régimes autoritaires, corrompus et gérant les pénuries ont été les moteurs de ces révolutions. (...)

Pays slaves, parmi les plus peuplés et les plus industrialisés de l’ancienne URSS et puissances agricoles importantes, leurs intégrations dans les systèmes militaires et économiques de l’Europe de l’ouest est impensables pour la Russie.

S’ajoute à ce constat géopolitique, la mentalité de « forteresse assiégé » qui est le syndrome psycho géopolitique de l’État russe depuis plusieurs siècles et en particulier depuis la guerre civile de 1917-1922. Non seulement les Russes se sont battus entre eux, mais le pays a vu les armées des principales puissances de l’époque intervenir à ses frontières (bien que de manière limitée en fin de compte, mais les contemporains de ces évènements ne pouvaient le savoir).

Il faut aussi repenser aux humiliations des années 90, quand la Russie s’est appauvrie très rapidement, générant un chaos terrible dans un pays qui fut le deuxième du monde au classement global des puissances. L’humiliation n’est pas due qu’à une perte de l’empire mais à un affaiblissement interne auquel Vladimir Poutine a répondu à sa manière.

Concernant l’autonomie stratégique de la Russie.

Pour sortir de sa dépendance économique, la Russie a misé sur ses ressources naturelles riches en hydrocarbures et minéraux. Certes, elle s’est enfermée dans un modèle d’économie extractive (industrie de guerre et nucléaire mise à part) mais cela lui a permis de se désendetter et même d’accumuler des réserves financières très importantes, estimé à un ordre de deux ans et demi de son budget fédéral.

De plus, elle a bénéficié du décollage massif de la Chine qui durant la décennie 2000 a accéléré fortement sa période de quarante glorieuses. L’alliance stratégique économique avec la Chine s’est renforcée dernièrement par l’ouverture d’un gazoduc entre la Sibérie et la Chine du nord et la signature d’un contrat de grande ampleur concernant la vente de gaz (le gazoduc « Force de Sibérie »).

On ne peut pas dire si aujourd’hui la Chine pourra remplacer les clients européens de la Russie mais tout du moins cela desserre l’étau économique qui faisait pendant longtemps de l’Europe une sorte de monopsone relatif de la Russie. En réalité, le commerce de la Russie avec l’Europe représente environ la moitié de son commerce extérieur. Et les gazoducs et oléoducs tournés vers l’Europe ne peuvent être détournés de leur destination pour envoyer du gaz et du pétrole en Chine ou ailleurs. (...)

Les sanctions annoncées vont donc affaiblir l’économie russe, mais celle-ci disposent de voie de contournement et de réserve pour y faire face, au moins en partie et pour un temps.

À noter également que cette situation va rendre la Russie encore plus dépendante de la Chine qu’elle ne l’était auparavant. Ce qui pose un problème géopolitique majeur pour la Russie et par ricochet pour ses adversaires.

Concernant l’Europe.

Si Vladimir Poutine envisageait de diviser et d’affaiblir l’Europe et l’OTAN il me semble qu’il a échoué.

L’Europe se retrouve dans sa plus grave crise géopolitique depuis la Guerre froide et peu ou prou elle est unie dans ce défi. Elle décide de sanction en commun et aucun pays ne fait défaut (même en comptant des divergences sur l’importance ou le rythme des sanctions). (...)

les dirigeants européens et les nations elles-mêmes vont de nouveau être confronté aux faiblesses stratégiques du continent, tant en matière d’approvisionnement en matières premières, qu’en moyen énergétique et en capacité de production industrielle mais également en matière de militaire.

Il ne faut pas tomber non plus dans le catastrophisme ou la dépréciation de soi, l’Europe dispose de capacités importantes en la matière mais elle dépend trop de l’extérieur dans des secteurs stratégiques (elle n’est pas la seule, nous sommes dans une ère d’interdépendance forte entre les continents).

L’Otan elle-même retrouve sa vocation première d’organisation militaire du continent européen. (...)

Des conséquences économiques importantes se font ressentir dans le monde. (...)

En conclusion, la situation reste imprévisible et on ne sait comment l’affaire va se terminer mais des conséquences graves vont en ressortir et au premier chef pour les belligérants.