R. Badouard passe en revue les modèles politiques, sociotechniques et économiques de régulation de la liberté d’expression en ligne. Une tentative pour combler un vide juridique alarmant.
Dans le contexte actuel de plus en plus marqué par la numérisation des échanges, il est inévitable de relier le débat démocratique à l’espace numérique, et de questionner la place de premier plan prise par des plateformes comme Facebook ou Twitter dans la modération de la prise de parole sur le web. Ces espaces générés et gérés par des entreprises privées et répondant à des logiques marchandes sont devenus les espaces publics privilégiés des discussions et des mobilisations du quotidien. Ce faisant, ils concentrent des enjeux démocratiques de formation de communautés et d’expression politique. Du point de vue juridique, les questionnements portent nécessairement sur les différentes normativités qui régissent la liberté d’expression sur ces plateformes : leur histoire, leurs configurations, leur puissance, leurs acteurs et la nécessité de leur renouvellement. (...)
« Les nouvelles lois du web » évoquées dans le titre représentent les différentes mesures juridiques adoptées jusqu’à présent pour faire face aux violences contre la liberté d’expression en ligne. Elles représentent aussi, et surtout, un vide législatif et l’impératif d’une nouvelle jurisprudence capable de réguler de manière démocratique le discours dans l’espace public du web. Une nouvelle jurisprudence qui dépasserait la seule relation entre États et plateformes, pour étendre son domaine de réglementation aux dynamiques de pouvoir sous-jacentes au dispositif sociotechnique et aux logiques de marché.
Quelles menaces pour la liberté d’expression en ligne et quelles modalités de régulation ?
Tout discours sur la régulation en ligne passe nécessairement par une définition de la liberté d’expression ou, du moins, par une définition de ce qui en empêcherait l’exercice. Trois grandes déclinaisons du discours sur la censure et sur la violence sur le web sont alors mobilisées, chacune avec ses spécificités.
La désinformation (les « fake news » en anglais), tout d’abord, et notamment concernant l’information politique. Grande protagoniste des campagnes présidentielles aux États-Unis (2016) et en France (2017), elle fait craindre de nouvelles stratégies de manipulation de l’opinion publique.
Le discours de haine, ensuite, qui hante le débat politique en ligne et qui s’est consolidé comme une ressource stratégique efficace pour produire des effets d’autocensure sur les victimes de cette exposition à la violence expressive.
Les droits d’auteur, finalement, qui se heurtent à un imaginaire de liberté d’échanges et à une pratique de piratage spécifiques au web.
L’étude concerne principalement les « grandes plateformes du web » : Apple, YouTube, Facebook et Twitter ou encore Google. Ces plateformes appartenant à des entreprises privées, elles constituent les premières sources de trafic vers les médias d’information. Elles font, en même temps, l’objet d’une réglementation assez opaque, qui ne leur empêcherait pas de se poser en nouvelle police de la pensée exerçant un pouvoir de censure inédit sur les contenus qui y circulent. (...)
La recherche des nouvelles lois pour réguler la prise de parole sur internet passe ainsi en revue une vaste gamme de modèles normatifs observables sur le web, pour en examiner limites et efficacités : la législation étatique, le formatage des dispositifs sociotechniques, la logique du marché, et les possibilités démocratiques de la participation numérique. (...)