
Au Monde, les reporters de terrain publient des enquêtes pour que les chefferies éditoriales s’assoient dessus.
Le 9 novembre, une journaliste du Monde publie une longue enquête sur Renaud Camus, « intellectuel » organique de l’extrême droite identitaire ayant forgé et popularisé l’idéologie fumeuse du « grand remplacement » [1]. Exhaustive, cette enquête intitulée « Renaud Camus, aux origines de la haine » ne se paie d’emblée pas de mots (...)
Certains dans le monde ont pris [le] « combat » [de Renaud Camus] au mot et retourné leurs armes contre les « occupants » désignés. Le terroriste australien responsable du massacre de 51 personnes dans deux mosquées de Christchurch, en Nouvelle-Zélande, le 15 mars 2019, avait ainsi intitulé son « manifeste » : « Le grand remplacement ». Même cri de ralliement pour celui qui a tué vingt-deux personnes le 3 août dans un centre commercial d’El Paso, contre ce qu’il qualifiait d’« invasion hispanique du Texas ». Ou encore, en France, pour l’Action des forces opérationnelles (AFO), ce groupuscule d’extrême droite dont treize membres avaient été interpellés en juin et juillet 2018, soupçonnés de vouloir commettre des attentats en France contre des musulmans, notamment en empoisonnant de la nourriture halal dans des supermarchés.
Sans aller jusqu’à pointer le rôle des médias dominants, et des chaînes d’information en continu notamment, dans la diffusion d’un tel concept, la journaliste constate combien l’expression est désormais « banalisée ». Depuis son apparition à la fin du 19ème siècle, elle fut « revivifiée » à la faveur d’une « composante anti-islam à la mode (sic) depuis les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis et ceux du 13 novembre 2015 en France ».
Une banalisation permise, toujours selon la journaliste, par la vitrine que lui offrent un certain nombre de groupuscules identitaires organisés, de personnalités politiques et/ou gravitant dans la « fachosphère »… mais pas que. C’est que la journaliste n’oublie pas de mentionner, à juste titre, un précieux relais, adoubé jusque dans les institutions les plus prestigieuses de l’État (comme dans le cénacle médiatique) (...)
au lendemain de cette publication, le 10 novembre, également jour de la « Marche nationale contre l’islamophobie », Le Monde clôturait son « Forum philo » organisé au Mans en offrant la séance conclusive à… Alain Finkielkraut.
si la séance conclusive en question ne nous a pas surpris, elle constitue en revanche un beau pied de nez à la journaliste du Monde, qui, au moins, aura pu voir en actes l’application des mécanismes de la « banalisation » qu’elle décrit dans son article. Comme prévu en effet, Alain Finkielkraut aura bénéficié d’une tribune d’une heure et quinze minutes (sans compter la séquence des questions) pour déverser les considérations racistes dont il est désormais coutumier et que le climat médiatique du moment vient conforter. (...)
Alors que les applaudissements accompagnent la conclusion du philosophe : « Je suscite la polémique, je ne cherche pas la polémique », nous pensons à vivement remercier Le Monde, et Jean Birnbaum. Le premier, pour sa cohérence éditoriale et le respect de ses journalistes, qui publient des enquêtes pour que les chefferies éditoriales s’assoient ensuite dessus. Le second, pour son art de la dépolitisation et son talent – qui ici, frise l’excellence – à ne pas nommer les choses. (...)