
Le 2 février 2016, une « proposition de loi visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias » rédigée par le député socialiste Patrick Bloche, a été enregistrée à la présidence de l’Assemblée nationale et renvoyée à la commission des affaires culturelles et de l’éducation. Du presque rien sur pas grand-chose, à la fois inoffensif et nocif.
Pour prendre la mesure du régime amaigrissant que l’actuelle majorité parlementaire fait subir à ses déjà maigres engagements via cette proposition de loi, il n’est pas inutile de revenir sur ce qu’elle a laissé dans son congélateur. (...)
L’engagement d’interdire de nouvelles appropriations des médias par des groupes dépendants de marchés publics a été retoqué.
Depuis 2012 la démocratisation du CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel), pourtant promise, s’est limitée à un jet de poudre de perlimpinpin : la nomination des présidents de France Télévisions et de Radio France ne dépend plus de l’Élysée, mais du CSA dont les membres sont désignés par le pouvoir politique (présidents de la République, de l’Assemblée nationale et du Sénat).
Qu’importe : il reste quelques mois pour proposer quelques amuse-gueule. (...)
L’article 1er de la proposition de loi énonce solennellement : « Tout journaliste a le droit de refuser toute pression, de refuser de signer un article, une émission, partie d’émission ou une contribution dont la forme ou le contenu auraient été modifiés à son insu ou contre sa volonté. Il ne peut être contraint à accepter un acte contraire à son intime conviction professionnelle. »
Ce principe sympathique d’indépendance ne pose le problème de l’indépendance des journalistes que sous la forme de leur liberté individuelle, et passe donc sous silence la dimension structurelle et collective de leur dépendance économique, sociale et politique. Mais ne chipotons pas trop : ce principe étant posé, comment garantir son application et sanctionner sa transgression ?
Panne (volontaire ?) de proposition, panne d’imagination : ne figurent au microscopique menu législatif que des « comités Théodule » [4], pompeusement appelés « comités d’éthique », exclusivement dédiés aux radios et aux télévisions et ignorant donc la presse écrite et le rôle structurant d’internet (et des pratiques qui lui sont liées). Une médication qui n’est donc administrée qu’à une partie des malades réels ou potentiels.
Mais surtout la composition et le rôle de ces « comités » seraient comiques, s’ils n’étaient pas purement et simplement inacceptables.
La loi propose, pour composer ces comités, de coopter des personnalités « indépendantes », dont l’indépendance est, bien sûr, garantie par leur cooptation ! Qui nous dira ce que sont une « personnalité », et une personnalité « indépendante » ? de qui et de quoi est-elle censée être « indépendante » ? (...)
Les porteurs de la proposition de loi ne semblent pas voir que le principe de la cooptation est anti-démocratique car il trace une frontière entre ceux qui s’entre-désignent (selon des critères très partiellement publics et dont la définition varie au gré de l’évolution de leurs intérêts) et ceux qui n’appartiennent pas à ce petit monde socialement très sélectif. (...)
L’ensemble des dispositions prévues sera placé sous la dépendance du CSA.
Ledit CSA, organisme fantoche et organisme croupion, restera fondamentalement inchangé, au lieu d’être transformé en Conseil national des médias, de tous les médias, dont la composition pourrait être effectivement démocratique et les missions redéfinies, comme nous le proposons [6].
Et pourtant cet organisme inchangé sera surchargé : investi des nouveaux pouvoirs, à la fois dérisoires et arbitraires. (...)
Les revendications d’un statut juridique des rédactions et d’une annexion d’une charte de déontologie à la convention collective des journalistes ? Retoquées ! Le projet d’un « Conseil de la presse » sur lequel Acrimed avait été consulté en 2014 [8] ? Abandonné ! Tout le pouvoir au CSA. (...)