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La Rotative
Renouvellement urbain au Sanitas : « On ne laissera pas les gens se faire manipuler ! »
Article mis en ligne le 11 octobre 2017

Yamina fait partie du collectif d’habitants mobilisés contre le projet de destruction de 430 logements sociaux dans le quartier du Sanitas [1]. Dans cet entretien, elle évoque les conditions de relogement des occupants des immeubles qui vont être détruits, l’avenir des commerces, la réputation du quartier et la question de la mixité sociale.

Depuis combien de temps vis-tu au Sanitas ?

Je suis arrivée dans le quartier en 2012. Ça devait juste être une étape, le temps qu’on retrouve une maison. Mais finalement on s’y est installé pour de bon. On a apprécié le voisinage, la proximité des commerces, le passage du tram qui est très pratique pour nos enfants qui vont au lycée et à la fac. Pour mon mari, l’accès à l’hôpital est plus facile. Alors on s’est dit qu’on resterait ici. Quand on a appris qu’ils allaient détruire notre immeuble, on a été bouleversés. Ça a été un choc. Mon mari, dont l’état de santé s’était stabilisé, a fait une rechute en apprenant la nouvelle.

Comment avez-vous appris cette nouvelle ?

J’ai reçu un courrier de Tours Habitat, le bailleur social, disant que notre immeuble serait détruit et que des réunions seraient organisées pour nous informer de la suite. Et puis, j’ai rencontré des membres des associations de locataires qui faisaient du porte-à-porte et qui m’ont demandé si j’étais d’accord avec cette démolition. J’ai dit que j’étais contre. Depuis, je milite avec les associations et j’ai participé à la création d’un collectif d’habitant-es opposé-es aux démolitions. Certaines membres de ce collectif ont rejoint le conseil citoyen du quartier pour qu’on soit mieux informé-es sur tout ce qui se passe. (...)

Pour toi, Tours Habitat va tirer un bénéfice de cette opération au détriment des habitants ?

Oui, ils vont en tirer un bénéfice énorme, puisque les terrains sur lesquels sont installés les immeubles à détruire vont être revendus à des promoteurs immobiliers qui vont construire des logements privés. Ces logements privés ne seront pas accessibles aux habitants actuels. Nous on y aura pas droit. On va juste les regarder depuis l’autre côté, si on arrive à rester dans le coin.
Certains habitants partent déjà, parce qu’ils ont peur qu’on leur réclame leurs arriérés de loyer avant de leur proposer un relogement. Pourtant, d’après ce qu’on a vu dans les chartes de relogement, le paiement des arriérés est normalement échelonné après le relogement. Les gens ont droit à un relogement digne, ce n’est pas parce qu’ils ont des problèmes de loyer qu’on va les mettre dans des trous insalubres. C’est pour ça qu’on veut informer les habitants sur leurs droits : Tours Habitat ne va pas se débarrasser d’eux en les relogeant n’importe où, sous prétexte qu’ils ont des incidents de paiement de temps en temps. (...)

on a la gare à côté, on a le tram, on a les bus, on a des commerces et des jardins. On apprécie cet endroit, on n’a pas envie de le quitter pour que d’autres en profitent. C’est avec nous qu’il faut qu’ils fassent l’avenir de ce quartier, pas sans nous. Ces aménagements ont été faits pour nous, les habitants du Sanitas. C’est injuste de nous en priver en se débarrassant petit à petit des immeubles qui gênent pour les remplacer par des logements privés. (...)

Quand on a besoin de quelque chose, on le trouve dans ces commerces de proximité. En plus les commerçants ne veulent pas partir, on les y oblige. On essaie d’ailleurs d’intégrer certains commerçants à notre collectif, pour avoir plus de poids et que les commerçants qui vont être éjectés soient représentés.
Il y a notamment une petite agence de voyage qui assure des liaisons avec l’Algérie et le Maroc. Le bailleur social nous dit : « Même si on la déloge de là, tout ce dont ils ont besoin, c’est d’un parking pour que les bus puissent stationner ». Mais les gens connaissent cette agence parce qu’elle est installée dans le quartier. Si elle déménage ailleurs, comment va-t-on la contacter ? On ne sait pas si elle pourra rester sur le Sanitas.

Les commerces devraient être installés du côté du Hallebardier (secteur situé entre le Palais des sports et l’avenue du Général de Gaulle). Mais il n’y aura pas le même type de commerces. Il n’y aura que Simply et des commerces dont on craint qu’ils ne soient pas dans nos moyens. (...)

Pour justifier la destruction de la barre Saint-Paul, ils invoquent les incivilités, la drogue, etc. Moi j’ai interrogé le directeur de Tours Habitat : au lieu de détruire un immeuble, pourquoi ils n’envoient pas la police ? On le voit bien, qu’il y a du deal. Mais on m’a répondu que la police était concentrée sur la lutte contre le terrorisme. Alors ils préfèrent raser un immeuble. De toute façon, même s’ils rasent cette barre, les jeunes iront s’installer ailleurs. Ce n’est pas logique, d’utiliser cet argument pour raser l’immeuble. (...)

Je ne me suis jamais sentie menacée. Même quand je sors mon chien à minuit, je n’ai pas de problème, on se salue entre habitants. Ça fait cinq ans que je suis là, je ne comprends pas pourquoi on dit que c’est dangereux. Je vis bien ici. Mes enfants n’ont pas de problème non plus, même si ils n’ont pas grandi ici. Ma fille sort parfois le chien à ma place, elle discute tranquillement avec les gars qui traînent, fume une cigarette, sans qu’il y ait de problème. Ça peut paraître bizarre, parce que c’est une Arabe, qui est tatouée de partout et qui fume : personne ne l’a jamais embêtée, ne lui a jamais dit quoi que ce soit, alors qu’on dit que les Arabes n’aiment pas voir des filles comme ça. (...°

Que penses-tu de l’entretien des appartements et des immeubles par le bailleur social ?

Ils ne sont jamais intervenus chez moi. Je les ai appelé pour un problème d’interrupteur, un type est venu en me disant qu’il n’avait pas la pièce, et je ne l’ai jamais revu. Ça fait cinq ans maintenant… Quand je suis arrivée, on nous a aussi annoncé l’installation de nouvelles fenêtres dans les deux ans. Ils ont commencé par la façade donnant sur la voie de tram, mais de notre côté du bâtiment, aucune fenêtre n’a été refaite… A mon avis, ils savaient déjà que le bâtiment serait détruit. Nous, on voulait juste du double vitrage et une installation électrique aux normes. Je ne comprends pas non plus pourquoi ils ont ravalé les façades d’immeubles qui vont être détruits.
Comment as-tu vécu la réunion d’information organisée par la mairie en mai 2017 ?

On s’est moqué de nous. Ils sont venus en nombre, les architectes et les autres. Ils nous ont montré des plans et ont répondu à quelques questions, et puis ils ont parlé de concertation. Mais nous on n’a pas été consultés ! (...)

L’un des arguments avancés pour justifier ce projet de rénovation urbaine, c’est le besoin de mixité sociale. Mais elle est là, la mixité ! Dans mon immeuble, elle est déjà là. Il y a des Marocains, des Algériens, des Tunisiens, des Gabonais, des Béninois, des Chinois, des Français... Il y a de tout. Il y a des employés, des agents de la SNCF, des chômeurs, des retraités... Si notre immeuble était remis en état, on serait content, parce qu’on s’apprécie, tout le monde s’entend bien. En cinq ans, j’ai souvenir d’une seule dispute de voisinage. Les gens ont des relations de voisinage normales, ils ne vont pas s’agresser parce qu’ils n’ont pas la même couleur de peau ou la même religion.

Du point de vue des décideurs, il n’y a pas de mixité. Mais quand on vit dans ces immeubles, elle est bien là. C’est sûr qu’on n’est pas riches, mais il y a bien une mixité, chacun vit avec ses moyens et on vit ensemble. On nous considère comme les plus pauvres des pauvres, mais il n’y a pas que des RMIstes dans le quartier, il y a beaucoup de gens qui partent travailler tous les matins. Ces gens-là sont bien dans ce quartier, pourquoi iraient-ils ailleurs ?