
Kinshasa — Des souffrances à une échelle massive. Qui n’ont jamais la couverture médiatique qu’elles méritent. Et la frustration. La frustration que personne ne paraisse vraiment s’intéresser au sujet. Ce n’est qu’une impression, mais c’est celle que je garde après mes récentes missions dans l’est du Congo, en tant que photographe.
Je me trouve en République démocratique du Congo depuis presque un an. Si vous avez peut-être du mal à vous représenter où ça se trouve, vous n’êtes pas seul. La RDC, comme s’appelle aujourd’hui l’ancien Zaïre, est un pays dans la tourmente depuis des décennies. Les noms de certains de leurs leaders vous diront peut-être quelque chose – Patrice Lumumba, Mobutu Sese Seko, Laurent-Désiré Kabila, Joseph Kabila…(...)
Même si vous ne savez pas le placer sur une carte, vous en abritez sans doute un morceau chez vous. Le sous-sol du pays est un des plus riches au monde. Ses minerais et terres rares se retrouvent dans les smartphones, ordinateurs et autres outils électroniques.(...)
C’est un endroit remarquable à plus d’un titre, souvent pour des raisons cruelles. Dian Fossey, célèbre éthologue, a contribué à sa renommée avec son livre Gorilles dans la brume, adapté au cinéma, avant d’être contrainte de quitter le pays, en pleine crise, pour le Rwanda voisin. Elle y sera assassinée.
C’est aussi le théâtre de certains des conflits les plus meurtriers de l’époque récente, comme la Deuxième guerre du Congo entre 1998-2003. Avec ses conséquences humanitaires, il a fait entre 2 et 5 millions de morts.(...)
En mars dernier je me suis rendu en Ituri, une province agitée du nord-est du pays, située juste au dessus de celle du Nord-Kivu (voir la carte ci-dessous).
Les deux communautés qui l’occupent, -les éleveurs Hema et les fermiers Lendu-, s’affrontent depuis longtemps pour le contrôle de la terre. Au tournant des années 2000, leur conflit s’est transformé en confrontation plus brutale, alimentée par le Rwanda et l’Ouganda voisins, dans le cadre d’une guerre plus large à l’intérieur des frontières de la RDC. Quelques 50.000 personnes y ont perdu la vie, et bien plus ont été déplacées, avant que la tension retombe. (...)
Le conflit s’est ravivé. Ceux qui avaient traversé le cauchemar précédent s’y trouvent plongés à nouveau. Les villages Lendu ont subi des assauts par vague. Avec des attaques à la machette, suivies d’incendies de maisons, et enfin des vols de bétail et de biens dans ce qui restait des attaques précédentes.(...)
La conséquence en est que les gens fuient à la moindre rumeur, qu’elle se vérifie ou pas.
Ils ont perdu un père, une sœur, un frère, une mère, un enfant dans le dernier conflit. Ils sont marqués. Et en les écoutant on peut comprendre leur peur.(...)
C’est peut-être parce que je ne suis pas ici depuis longtemps, mais je me demande pourquoi le monde n’y prête pas plus attention. Plus de 500.000 personnes ont été déplacées dans la région de Tanganyika, est-ce que ce n’est pas suffisant ? Ou bien est-ce parce que la chose a été entendue tant de fois qu’elle en est devient inaudible ?(...)
A chaque fois, je me demande comment décrire la situation pour que les gens la remarquent. Quelle émotion puis-je transmettre à travers l’image ? Comment faire pour attirer le regard de quelqu’un et l’amener à s’informer ensuite sur le sujet ? Et comment se distinguer de ce que d’autres ont fait avant ?(...)
C’est très frustrant parce qu’on passe tant de temps à atteindre ces endroits, à parler avec les gens, à essayer de partager leur histoire avec d’autres, et on a l’impression que ça n’intéresse personne. Peut-être que si, mais ça ne se voit pas.