Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Reporterre
« Reprendre la parole, c’est reprendre le pouvoir »
Mariana Otero est réalisatrice de films. L’Assemblée est sorti en salles le 18 octobre.
Article mis en ligne le 28 octobre 2017
dernière modification le 27 octobre 2017

Le 31 mars 2016, place de la République, à Paris, naissait le mouvement Nuit debout. Plusieurs mois durant, tous les soirs s’est tenue une assemblée au cours de laquelle chacun pouvait s’exprimer. C’est cette expérience démocratique exceptionnelle qu’a filmée la réalisatrice Mariana Otero dans « L’Assemblée ». Entretien.

(...) Mariana Otero — Oui, cette assemblée de citoyens et de citoyennes réunis ce soir-là pour essayer de construire ensemble une assemblée populaire, où chacun puisse s’exprimer… cela m’a vraiment bouleversée ! Et je me suis dit : « Il faut filmer. »
Comme tous les gens présents dans cette aventure de Nuit debout, je me suis lancée à corps perdu, et j’ai débuté le tournage sans financement, avec juste le désir de laisser une trace et de raconter ce qu’il se passait.

Pourquoi ce titre : « L’Assemblée » ?
Parce que l’assemblée qui se tenait chaque jour place de la République, avec la commission démocratie qui lui était liée, était pour moi le lieu le plus incroyable de Nuit debout. Son objet de travail, surtout : la démocratie. Le reste, l’économie, le logement, l’éducation, etc. dont traitaient les diverses commissions, pouvait se discuter ailleurs. Mais, que des citoyens s’emparent de cette question de démocratie, qu’ils se demandent comment faire ensemble sans représentant, ni chef, c’était exceptionnel.

Les premières images rappellent le contexte dans lequel Nuit debout émerge — dénonciation de la loi El Khomri et du capitalisme. Pourtant, très vite, la question de la parole s’impose.
Ce qui était très clair à Nuit debout, c’est que la place de la République était devenue un espace politique : on essayait de donner aux citoyens la possibilité de reprendre la parole, d’avoir une parole politique. Et le moyen, c’était un cadre précis (...)

Et puis, reprendre la parole, c’est reprendre le pouvoir. C’est ce qui a animé Nuit debout et c’est ce que le mouvement a réussi : il y a peu d’endroits où les gens peuvent s’exprimer ainsi, et je pense que cela s’est perpétué ensuite dans d’autres endroits.(...)

Nuit debout est un processus. Et, dans ce processus, il y a des moments de flottement, de suspension du sens. Parce que quelque chose se cherche. Il y a notamment une tension évidente entre le fait de vouloir donner la parole à tout le monde et le fait de décider des choses : car, plus on décidait, plus on fermait le débat, plus on allait vers le vote, et plus on prenait le risque de refabriquer de l’exclusion avec la minorité qui n’aurait pas voté pour — et donc de reconduire l’actuel système de démocratie représentative.
Nuit debout ne voulait pas entrer dans le conflit. La question qui se posait, que j’ai essayé de faire apparaître dans le film, est : peut-on retrouver une puissance politique sans passer par le conflit ? À Nuit debout, ils n’ont pas réussi à le décider, ils n’ont même pas décidé de décider. Le fait de donner la parole est devenu à un moment contradictoire avec le fait de décider. C’est un des points qui ont provoqué l’épuisement de Nuit debout (...)

On n’est pas obligés de passer par le vote : il y a bien des manières de prendre des décisions au consensus, qui ont existé depuis que les hommes et les femmes font société. Les zapatistes, par exemple, ne votent pas, ils délibèrent pendant des heures, des jours, et la décision finale n’a exclu personne, il n’y a pas conflit. Je pense que c’est vers cela que Nuit debout avait envie d’aller. (...)