
Ce texte est la transcription quasi à l’identique du réquisitoire prononcé lors du « procès d’Emmanuel Macron » organisé par Là-bas si j’y suis le 7 mai 2019 à la Bourse du travail.
(...) nous avons sans doute raison de profiter d’une des dernières occasions de nous livrer à des procès parodiques. Quand un pouvoir en est à un stade d’intolérance aux offenses symboliques qui lui fait poursuivre des activistes ayant décroché des portraits officiels en mairie, nul ne peut exclure que notre petite affaire se termine en procès réel du procès parodique — je ne sais pas ce que le président Mermet en pense, mais le procureur se sent plus près de la convocation judiciaire que de la légion d’honneur.
Mais bien sûr, il y a surtout le prévenu lui-même, cas d’une beauté sans précédent dans les annales de la justice parodique, et qui ferait presque de la justice parodique une anticipation de ce que devrait être une justice réelle — car il est bien certain qu’à un moment ou à un autre, il faudra juger ces gens-là, et les juger pour de bon.
Pour l’heure requérir en si peu de temps contre vous, M. Macron, est une gageure — c’est que l’épaisseur de votre dossier est considérable. Je laisserai donc à la défense la mauvaise foi d’exploiter tout ce qu’il aura été impossible de documenter ici. Mais je ne lui laisserai pas le loisir d’ignorer les enjeux véritables de ce procès, ni celui d’argumenter dans les coordonnées ordinaires du savoir d’expert néolibéral. Le temps n’est plus à la discussion d’économistes. Il se passe autre chose, qui engage la planète et une forme de civilisation. (...)
Il arrive parfois qu’une anecdote livre à elle seule la totalité d’une situation — en fait, tous les jours, il nous en arrive qui disent la vérité de l’époque. Voici la dernière en date : un imbécile commande une pizza sur Uber Eat ; sur le chemin le livreur est renversé ; l’imbécile se plaint de ne pas avoir reçu sa pizza et d’avoir payé pour rien ; Uber Eat répond qu’il va prendre des nouvelles de la pizza — j’exagère à peine. Au moment où, certes dans un tout autre genre, se tient le procès France Télécom, vous aurez du mal à faire passer ceci pour une péripétie regrettable mais sans signification, car, petits ou grands, ce sont les éléments cohérents d’un même tableau d’ensemble : la sollicitude pour la pizza, c’est l’époque en raccourci. (...)
MM. les avocats, je dis que votre client est la figure de ce désastre, et que nous allons le juger comme tel. Emmanuel Macron est le visage de notre temps et, je suis désolé de vous le dire, notre temps a une sale gueule. M. Macron, vous personnifiez ce que l’époque a de plus haïssable. Elle est moralement vile. Comme elle, vous ne révérez que les valeurs de l’argent et de la compétition, qui distingue les riens et les premiers de cordée. La solidarité et la gratuité, c’est-à-dire tout ce qui fait des relations humaines dignes de ce nom, vous sont parfaitement inconnues. Vous travaillez même à les éradiquer pour livrer la totalité de la vie sociale à la marchandisation. Moralement vile, l’époque est aussi totalement irresponsable sur la question climatique. Il est vrai que le problème ne peut plus être posé qu’en les termes de la sortie du capitalisme, et qu’on pourra difficilement compter sur vous à cet égard. Il ne vous reste donc qu’à travestir en mots ce que vous poursuivez en actes.
La défiguration par la langue, et je dirais même la défiguration de la langue, c’est là un domaine où incontestablement vous excellez — un autre signe d’époque. (...)
Mais bien sûr, il y a surtout le prévenu lui-même, cas d’une beauté sans précédent dans les annales de la justice parodique, et qui ferait presque de la justice parodique une anticipation de ce que devrait être une justice réelle — car il est bien certain qu’à un moment ou à un autre, il faudra juger ces gens-là, et les juger pour de bon.
Pour l’heure requérir en si peu de temps contre vous, M. Macron, est une gageure — c’est que l’épaisseur de votre dossier est considérable. Je laisserai donc à la défense la mauvaise foi d’exploiter tout ce qu’il aura été impossible de documenter ici. Mais je ne lui laisserai pas le loisir d’ignorer les enjeux véritables de ce procès, ni celui d’argumenter dans les coordonnées ordinaires du savoir d’expert néolibéral. Le temps n’est plus à la discussion d’économistes. Il se passe autre chose, qui engage la planète et une forme de civilisation. (...)
Il arrive parfois qu’une anecdote livre à elle seule la totalité d’une situation — en fait, tous les jours, il nous en arrive qui disent la vérité de l’époque. Voici la dernière en date : un imbécile commande une pizza sur Uber Eat ; sur le chemin le livreur est renversé ; l’imbécile se plaint de ne pas avoir reçu sa pizza et d’avoir payé pour rien ; Uber Eat répond qu’il va prendre des nouvelles de la pizza — j’exagère à peine. Au moment où, certes dans un tout autre genre, se tient le procès France Télécom, vous aurez du mal à faire passer ceci pour une péripétie regrettable mais sans signification, car, petits ou grands, ce sont les éléments cohérents d’un même tableau d’ensemble : la sollicitude pour la pizza, c’est l’époque en raccourci. (...)
MM. les avocats, je dis que votre client est la figure de ce désastre, et que nous allons le juger comme tel. Emmanuel Macron est le visage de notre temps et, je suis désolé de vous le dire, notre temps a une sale gueule. M. Macron, vous personnifiez ce que l’époque a de plus haïssable. Elle est moralement vile. Comme elle, vous ne révérez que les valeurs de l’argent et de la compétition, qui distingue les riens et les premiers de cordée. La solidarité et la gratuité, c’est-à-dire tout ce qui fait des relations humaines dignes de ce nom, vous sont parfaitement inconnues. Vous travaillez même à les éradiquer pour livrer la totalité de la vie sociale à la marchandisation. Moralement vile, l’époque est aussi totalement irresponsable sur la question climatique. Il est vrai que le problème ne peut plus être posé qu’en les termes de la sortie du capitalisme, et qu’on pourra difficilement compter sur vous à cet égard. Il ne vous reste donc qu’à travestir en mots ce que vous poursuivez en actes.
La défiguration par la langue, et je dirais même la défiguration de la langue, c’est là un domaine où incontestablement vous excellez — un autre signe d’époque. (...)
Entre défiguration des mots et aveux projectifs inconscients, votre mandat aura été comme une gigantesque performance dans le langage. Ainsi, au lendemain du 16 mars, acte il est vrai assez agité, croyant parler des « gilets jaunes », vous ne cessez de parler de vous sans même vous en rendre compte : « on ne peut s’arrêter à la tyrannie d’une irréductible minorité » (1). Mais qui ne voit que c’est au minuscule carré d’oligarques regroupés autour de vous que ce propos s’applique idéalement en fait ? Et c’est vrai : vous formez une minorité irréductible et tyrannique. (...)
Lors de votre récente conférence de presse, à propos de Benalla cette fois, vous déclarez : « Est-ce que je regrette de l’avoir embauché à l’Élysée ? Non, parce que je pense que c’était extrêmement cohérent avec les valeurs que je porte et avec ce que je veux que nous fassions ». Là encore, c’est tout vous. En effet les valeurs que vous portez, ce sont celles des nervis lâchés dans la ville pour cogner du manifestant — on vous reconnaît parfaitement (...)
Ne voulant céder sur rien face à un corps social qui vous demande de renoncer à beaucoup, vous êtes incapable d’une réponse autre que la répression. Moins vous êtes légitime, plus vous n’avez que la solution de cogner ; et plus vous cognez, moins vous êtes légitime. On sait comment tout ça finira : mal. C’est bien pourquoi il est de la dernière nécessité de vous arrêter au plus vite. (...)
les formes de la légalité n’ont jamais suffi à clore une discussion politique. C’est ce que vous semblez redécouvrir aujourd’hui : de ce que l’élection a eu lieu, il ne suit nullement que vous êtes légitime ou, si jamais vous l’avez été, que vous le demeuriez indépendamment de vos actes — la légitimité n’est pas une qualité substantielle qui se transporte, inaltérable, dans le temps. Or vos actes parlent pour vous. Ce sont les actes d’un nervis en costume de banquier. (...)
Je ne vais pas refaire la liste interminable des violences policières et judiciaires inouïes qui se seront commises sous votre règne. Tout le monde les a, ou devrait les avoir en tête, et j’avise la défense de ne pas feindre d’en ignorer. Vous êtes allé tellement loin, M. Macron, que vous avez réussi à rouvrir le débat du fascisme en France. (...)
Comme on sait, c’est un débat des plus délicats, qui demande d’éviter les deux écueils symétriques de voir du fascisme partout ou de le voir trop tard, la seule chose certaine étant que ceux qui trouvent la question même sans objet n’ont à l’évidence rien vu des images d’une police totalement en rupture de république, pour ne pas dire devenue complètement folle. (...)
Le ministère public pour sa part, s’adressant une dernière fois au prévenu, peut lui dire ceci : nous vous tenons pour un individu dangereux. Vous détruisez les libertés, vous détruisez les droits fondamentaux, vous détruisez le tissu social, vous détruisez la planète, vous détruisez la langue, vous détruisez les corps. Ça commence à faire beaucoup — trop, pensons-nous. Nous considérons que ce qui détruit la société, la société a le droit de le détruire. Le parquet réclame donc votre destruction. (...)
Et comme, pour ce qui nous concerne, nous sommes attachés à ne pas passer les mêmes seuils de désymbolisation que vous, nous ne réclamons que votre destruction politique et symbolique. Si le tribunal suit nos réquisitions, vous serez donc destitué. Vous serez condamné ensuite à voir vos portraits partout décrochés donnés à brouter aux chèvres — si elles en veulent —, puis à passer entre deux haies de « gilets jaunes » qui vous feront des doigts d’honneur — et, eux, n’en seront pas poursuivis.
Enfin, et moyennant la signature d’une convention bilatérale ad hoc, vous serez condamné par bannissement à passer le restant de vos jours au Luxembourg. C’est un paradis fiscal, on y aime la finance sans réserve et, presque entièrement voué à l’argent, c’est un endroit d’une laideur existentielle à mourir. Bref, c’est votre lieu naturel. Le parquet requiert donc que vous y soyez reconduit dans les plus brefs délais.