
« J’ai une charrue, j’ai mon champ, je le laboure » : ainsi parle « l’emmerdeuse de la
République », la juge Bertella-Geffroy, pour décrire son métier au micro de France Inter, ce
jeudi 14 février.
Elle s’excuse presque de sa ténacité, de son obstination à tenter, contre vents
et marées, de mener son ouvrage jusqu’à son terme.
La juge Bertella-Geffroy coordonne le
pôle de Santé publique du Tribunal de Paris et l’aboutissement des dossiers d’instruction dont
elle a la charge ne semble pas être la priorité du gouvernement.
La juge devrait être mutée
début mars et abandonner ainsi un certain nombre de dossiers, dont celui de l’amiante dans le
cadre duquel elle avait mis en examen Martine Aubry, en tant qu’ex-directrice des relations du Travail au ministère du Travail, le 6 novembre 2012.
Dans notre République exemplaire, le juge d’instruction, réputé indépendant du pouvoir
politique, est de fait soumis à de multiples contraintes et entraves qui réduisent
considérablement ses capacités d’investigation dans des affaires réputées « sensibles ».
Marie-
Odile Bertella-Geffroy en parle d’expérience.
Comment, par exemple, terminer rapidement
l’instruction d’un dossier complexe comme celui de l’amiante avec l’aide d’un seul OPJ
( officier de police judiciaire) enquêteur quand, sur le même type d’affaires, la justice
italienne met à la disposition du procureur Guariniello une trentaine de personnes ?
Comment
rendre la justice dans des délais raisonnables ? « Le pôle santé est une vitrine » . . . mais ce
n’est qu’une vitrine, une sorte de guichet chargé d’enregistrer des plaintes sans suite, un leurre
pour les victimes, une garantie presque assurée d’impunité pour les mafieux.
La santé publique est ravalée au rang de donnée superfétatoire subordonnée à des objectifs
industriels et commerciaux. Remplacer de la viande de boeuf par de la viande de cheval est un
scandale énorme, médiatisé, car nos amis britanniques n’apprécient pas de retrouver dans
leurs assiettes un animal de compagnie, et « c’est grave par rapport aux conséquences pour la
filière française », selon les mots très justes de notre Président, mais, en règle générale, dans
le domaine du droit des affaires, on assiste à une dépénalisation de fait des infractions qui
laisse le champ libre à toutes les pratiques délictueuses.
La justice est bien peu dissuasive et,
sans répression, il ne peut y avoir de réelle prévention. Les scandales peuvent se succéder sans
que les leçons en soient jamais véritablement tirées.
Notre justice est douce pour les cols blancs, pour les « patrons-voyous », mais elle est, à
l’inverse, de plus en plus dure pour le monde syndical.
Ainsi, la proposition de loi, déposée par le groupe communiste du Sénat « sur l’amnistie des
syndicalistes poursuivis en justice » (qui vise à amnistier des « faits commis à l’occasion de
mouvements sociaux et d’activités syndicales et revendicatives »), a été rejetée, le mercredi
13 février, par la Commission des lois du Sénat. Selon Eliane Assassi, présidente des
sénateurs communistes, « le gouvernement ne serait pas favorable à cette proposition de loi ».
Dans le même temps, le gouvernement « soigne » sa police : l’ensemble des policiers ripoux
de la BAC Nord de Marseille viennent d’être réintégrés, à l’exception notable du policier qui
avait alerté le premier sa hiérarchie sur les agissements délictueux de ses collègues.
Et Mme Taubira promeut aussi ses magistrats zélés : selon le site Médiapart, « le juge
antiterroriste parisien Thierry Fragnoli est proposé au poste de procureur de la République de
Senlis (Oise) par le ministère de la justice. Ce juge d’instruction s’était illustré en instruisant
le dossier de Tarnac, emblématique des années Sarkozy, dont il a finalement demandé à être
dessaisi en avril 2012. Le magistrat souhaitait, depuis lors, changer d’air.. »
La qualité d’une ministre de la Justice ne se juge pas à quelques discours enflammés autour de
la loi sur le mariage des homosexuels mais à ce genre de décisions. Christiane Taubira est
dans la droite ligne de l’institution ; la Justice que sert aujourd’hui la ministre, c’est la justice
implacable qui protège tous les pouvoirs en place, implacable pour les petits dealers mais
impuissante face aux gros trafiquants, implacable pour les policiers qui dénoncent les
agissements coupables de leurs collègues mais pleine de mansuétude pour les ripoux,
implacable pour les syndicalistes mais pleine de prévenance pour les grands patrons,
implacable pour les lanceurs d’alerte et les "alternatifs" en tous genres susceptibles de
remettre en question l’ordre établi.
« Rétablir la justice » était un des engagements forts du candidat Hollande.
Dans ce domaine
aussi, le changement de cap est difficilement perceptible. Le jugement de Marie-Odile
Bertella-Geffroy est, quant à lui, sans appel : « Je suis entrée dans la magistrature car je
croyais en la Justice. Je vais en sortir, j’y crois plus ».