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Retour sur un "cessez-le-feu" Les braises de la révolution
paru dans CQFD n°142 (avril 2016)
Article mis en ligne le 16 décembre 2016

Le 12 février 2016, les manifestations se multipliaient en Syrie. Le peuple se battait encore. Entretien avec Leila Al-Shami, bloggeuse anarchiste, impliquée dans les réseaux de résistance populaire syriens, et co-auteure, avec Robin Yassin-Kassab de Burning Country : Syrians in war and Revolution.

Alep, Idlib, Deraa, Daraya, Douma, Talbeeseh, etc., dans la plupart des villes syriennes non occupées par le régime ou Daech, la population a profité du cessez-le-feu relatif pour descendre à nouveau massivement dans la rue. D’où viennent ces voix ?
Leila Al-Shami : Ces manifestations montrent que, bien qu’invisibilisée avec la militarisation du soulèvement, la résistance civile reste très vivace. Ces hommes et ces femmes sont descendus dans les rues pour mettre l’accent sur les buts premiers de la révolution : la chute du régime, l’unité du peuple syrien contre les logiques de divisions sectaires et confessionnelles.

Dans ce contexte de guerre et de siège et malgré la famine et les bombardements, comment s’organise ce mouvement de rébellion civile dans ces « zones libérées » ?
Quand nous parlons de « zones libérées », c’est un peu plus que de la simple rhétorique. Dans Alep, par exemple, les différents conseils locaux [1] continuent d’assurer les services publics et vitaux pour la population locale, ainsi que l’auto-administration de chaque territoire en l’absence de l’État. Je parle de plus de 100 organisations de la société civile, la seconde plus importante concentration de groupes civils actifs du pays. Cela comprend quelque 28 associations de médias libres, des organisations de femmes, d’urgence sanitaire et de soins. Cela inclut également des organisations éducatives, telle Kesh Malek, qui dispensent un enseignement non idéologique aux enfants, et dont les locaux sont souvent installés dans des sous-sols par crainte des bombardements. Sous le règne totalitaire d’Assad, la société civile était inexistante, et aucun média indépendant n’était toléré. Dans la démocratie d’Alep libérée, ces pratiques se sont développées à mesure que les gens ont commencé à s’auto-organiser, puis à auto-administrer leurs communautés. Cela représente, selon moi, les objectifs originels du mouvement révolutionnaire.

Il y a eu de fortes tensions entre ces manifestants et les troupes de Jabhat al-Nosra, la milice djihadiste affiliée à Al-Qaïda, qui domine la zone libérée d’Idlib. Ces derniers ont même dû quitter le village d’Abou Douhour suite à des manifestations hostiles.
Dans les défilés, les manifestants arborent le drapeau de la Syrie Libre [aux trois bandes noir-blanc-vert, floqué de trois étoiles rouges, également emblème de l’Armée syrienne libre (ASL)], tandis que les drapeaux noirs djihadistes sont significativement absents. Cela représente objectivement une menace pour al-Nosra. C’est pour cette raison que cette organisation a tenté de réprimer les protestations en tirant sur la foule. Il y a toujours eu une distance entre le mouvement de résistance populaire et les éléments conservateurs et extrémistes de la résistance armée. Les groupes comme al-Nosra ont pu être acceptés parce qu’ils ont montré leur efficacité au combat contre le régime. À une certaine époque, ils ont également pu gagner en popularité en montrant leur capacité à dispenser des services de base aux populations, grâce au soutien financier des monarchies du Golfe et de la Turquie d’Erdogan. Ceci dit, l’opposition civile aux forces réactionnaires n’est pas chose nouvelle. Dans l’histoire de la révolution syrienne, il y a eu plusieurs manifestations populaires contre les groupes al-Nosra ou Jaysh al-Islam quand ils ont essayé d’imposer leurs agendas aux populations. (...)